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Paradoxe français

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Il y a 50 ans cette année, le roi du Bouthan, Jigme Singye Wangchuck, imaginait le Bonheur national brut (BNB), un indicateur mesurant le bien-être de la population à partir de critères comme un développement économique et social durable et équitable, la sauvegarde de l’environnement ou une bonne gouvernance. « Le bonheur national brut est plus important que le produit national brut », proclamait alors le jeune roi, dont l’outil ne se concrétisa qu’en 1998, mais dont l’idée – prémonitoire quant à la prise en compte des effets de la mondialisation – a été reprise sous diverses formes, notamment par l’ONU. Pour la première fois, cette année, la France est d’ailleurs entrée dans le top 20 mondial de l’indice du bonheur des Nations unies, à la 20e position sur 146 pays scrutés.

Mais le bonheur seul ne saurait définir l’état d’esprit d’un peuple. Pour aller plus loin que de savoir seulement si les Français sont heureux, l’institut Harris Interactive a mené une très vaste enquête pour le magazine Challenges, dont nous publions en partenariat les résultats. Intitulée « Le cœur des Français 2022 », cette étude constitue une radiographie riche d’enseignements sur l’humeur de nos concitoyens à l’heure où des nuages s’accumulent au-dessus de la rentrée, entre inflation galopante, guerre en Ukraine qui se prolonge, potentielle crise de l’énergie cet hiver, dérèglement climatique et inquiétudes sur le pouvoir d’achat. Au final, ce sondage, réalisé en juillet auprès de 10 000 Français, souligne les paradoxes, les fractures et les espoirs qui traversent une société française à la fois résiliente mais inquiète, confiante mais déterminée. Confirmant le classement de l’ONU, les Français sont effectivement plus optimistes cette année que l’an passé, où l’épidémie de Covid-19 et le chômage sévissaient plus durement. Ils sont plus déterminés, plus enthousiastes, et même, pour certains, plus joyeux. Une majorité est ainsi satisfaite de son niveau de vie, même si le sentiment qu’il pourrait stagner ou se dégrader gagne les esprits.

Et pourtant, paradoxalement, 6 Français sur 10 estiment que la France est en déclin, une vision décliniste qui progresse davantage chez les catégories populaires et les classes moyennes. Le bonheur, l’optimisme individuels de certains semblent ainsi côtoyer une affliction, un pessimisme, un marasme collectif. Comme si les Français avaient perdu la confiance en leur capacité de relever, ensemble, les défis qui arrivent, à commencer par les trois sujets d’inquiétude qu’ils ont placés en tête de leurs préoccupations : le dérèglement climatique, le pouvoir d’achat et l’avenir des jeunes. A ce manque de confiance, qui peut s’expliquer par la persistance d’inégalités socio-économiques – 82 % des Français pensent que la France est un pays inégalitaire où les richesses sont mal redistribuées – s’ajoute une inquiétante défiance quant à notre système démocratique, jugé dysfonctionnel et même comme étant un « régime autoritaire ».

Réagissant à l’enquête, Emmanuel Macron a salué « la clairvoyance » des Français et estime que « nous devons nous tenir unis » pour faire face aux « grands défis ». Mais si le chef de l’État loue, à raison, les atouts de notre pays, c’est bien à lui de créer les conditions de l’unité qu’il appelle de ces vœux pour que l’optimisme individuel retrouvé soit bien partagé par tous.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 25 août 2022)

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