2022 sera-t-elle pour le nucléaire français une annus horribilis ? En tout cas, depuis deux ans, la filière nucléaire subit des aléas dont elle se serait sans doute bien passée, surtout à l’heure où la France compte plus que jamais sur elle pour produire de l’électricité cet hiver dans un contexte de grave crise énergétique inédite, déclenchée par la guerre en Ukraine.
Alors que le parc des 56 réacteurs nucléaires commence à accuser son âge – les centrales étant initialement conçues pour ne fonctionner que 40 ans avant une prolongation de dix ans esquissée l’an passé – le nucléaire français a été percuté de plein fouet par l’épidémie de Covid. La crise sanitaire et ses confinements ont, en effet, considérablement retardé le calendrier des visites décennales de contrôle et de maintenance. L’étalement de ces vérifications cruciales a conduit à un arrêt des réacteurs – jusqu’à presque la moitié du parc – et donc à une production moins importante que prévu. La France s’est ainsi retrouvée à devoir importer de l’électricité de nos voisins au lieu d’être exportatrice. À ces retards s’est ajoutée la découverte, fin 2021, de fissures sur le circuit de refroidissement d’un réacteur, fissures susceptibles de concerner tous les réacteurs traditionnels et même l’EPR de Flamanville.
À cette situation déjà complexe s’ajoutent cet été les épisodes caniculaires qui impactent fortement la production d’électricité en général et nucléaire en particulier, cette dernière étant contrainte d’être réduite pour que les rejets d’eau des circuits de refroidissement des centrales ne perturbent pas (trop) la faune et la flore des rivières. Ces difficultés sur le nucléaire ont conduit l’État et EDF à convenir de « points de suivi » mensuels sur la performance du groupe quant à la maintenance et à la disponibilité du parc, alors que la Commission de régulation de l’énergie a estimé que « le plafond de prix (de l’électricité) pourrait être relevé à plusieurs reprises au cours de l’hiver au détriment des consommateurs… »
Mais au-delà de l’hiver qui vient, au-delà même des prix de l’électricité qui pourraient augmenter, se pose la question de la stratégie à venir pour le nucléaire. L’exécutif a annoncé le 19 juillet son intention de prendre 100 % du capital d’EDF pour 9,7 milliards d’euros afin d’avoir les coudées franches pour relever de multiples défis : prolonger la durée de vie des centrales en toute sécurité, construire de nouveaux réacteurs nucléaires (EPR ou petits réacteurs modulaires SMR) et se développer dans les énergies renouvelables. Car le rapport « Futurs énergétiques 2050 » remis par RTE fin 2021 et qui listait tous les scénarios possibles du mix énergétique a clairement posé la problématique de l’énergie pour la France : entre du 100 % renouvelable et du 100 % nucléaire, il faut construire un chemin avec toutes les énergies disponibles, aucune n’excluant les autres, pour répondre aux besoins en électricité des décennies qui viennent.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 11 août 2022)