Tout au long de son histoire, le vénérable Palais Bourbon aura connu des grands moments de vie parlementaire, des coups d’éclat et des coups de gueule qui sont entrés dans l’histoire de France. Pour cette XVIe législature de la Ve République, l’Assemblée nationale a retrouvé cette vitalité-là qui s’était perdue dans le ronron d’un hémicycle devenu davantage une chambre d’enregistrement des textes présentés par les gouvernements successifs. Les élections de juin dernier, qui ont privé Emmanuel Macron d’une majorité absolue, ont, d’évidence, changé la donne.
Cette situation inédite a contribué à la « reparlementarisation » de la vie politique française : tout se passe désormais à l’Assemblée, cœur battant de notre démocratie. Tout, c’est-à-dire surtout des débats enlevés, passionnés souvent, houleux parfois, menés par des députés néophytes – ou confirmés – qui ont apporté un vent de fraîcheur. Qu’ils s’appellent Rachel Kéké, Louis Boyard, Sandrine Rousseau, Karl Olive ou Jean-Philippe Tanguy nouvellement élus ou Valérie Rabault, Aurore Bergé ou Charles de Courson pour leurs aînés plus expérimentés, tous ont fait vivre le débat politique comme on ne l’avait plus vu depuis longtemps. Parfois jusqu’au bout de nuits interminables avec des votes au petit matin. Si certains décèlent dans ces débats trop de « bololo », pour reprendre l’expression imagée d’Edouard Philippe, force est de constater que le travail parlementaire a été conduit à son terme, sous la houlette de Yaël Braun-Pivet, première femme présidente de l’Assemblée nationale.
À l’heure des vacances parlementaires, cette session – qui a vu l’adoption du projet de loi de finances rectificative pour 2022 et celui portant les mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat – résonne comme un rodage d’un nouveau fonctionnement institutionnel dans lequel chacun peut trouver matière à satisfaction. La Nupes a peu obtenu dans les deux textes mais elle est restée unie là où beaucoup pariaient sur son éclatement, même si on a plus entendu LFI que le PS, le PC ou EELV. La majorité présidentielle est restée debout malgré quelques velléités venues d’Horizons. Les Républicains ont réussi à droitiser les projets du gouvernement et montrer qu’ils sont incontournables pour les macronistes. Le RN a évité tout dérapage. Et Elisabeth Borne, dont certains – François Bayrou en tête – estimaient qu’elle n’avait pas les épaules pour le poste, a montré tout le contraire, surmontant les embarrassantes affaires Abad et Cayeux, et trouvant finalement son ton, son style. Quant à Emmanuel Macron, ce Jupiter duquel tout procédait dans le précédent quinquennat, il est étonnamment resté en retrait, se concentrant sur le pré-carré présidentiel de l’international et se félicitant de voir son gouvernement avancer.
En bousculant le système, en introduisant une sorte de proportionnelle dans une assemblée élue au scrutin majoritaire, les Français ont-ils inventé une Ve République hybride, contraignant la classe politique à une nouvelle grammaire, celle du compromis ? L’avenir le dira car les stratégies des uns et des autres sont aussi fragiles que les ambitions fortes pour l’après. L’examen de réformes plus corsées que le texte consensuel en faveur du pouvoir d’achat – retraites, assurance chômage, immigration… – donneront davantage le « la » que les six semaines mouvementées mais passionnantes qui viennent de s’écouler.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 7 août 2022)