Accéder au contenu principal

Principes et réalité

agriculteurs


Seize mois après les manifestations historiques des agriculteurs, nées en Occitanie à l’hiver 2024 en dehors des organisations syndicales traditionnelles, voilà la colère paysanne de retour. Ce lundi, à l’appel notamment de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, et après de nombreuses actions ponctuelles ces dernières semaines, les tracteurs seront, en effet, à nouveau dans les rues pour dire l’exaspération des agriculteurs de voir les mesures promises si lentes à se mettre en place et pour rappeler l’urgence à agir aux députés, qui examinent ce lundi à l’Assemblée nationale une proposition de loi clivante lancée par le sénateur LR Laurent Duplomb.

Ambitionnant de « lever les contraintes », ce texte, plébiscité par le monde agricole mais qui ulcère les défenseurs de l’environnement et les tenants d’un autre modèle agricole, propose entre autres de faciliter le stockage de l’eau, de simplifier l’extension des élevages, de réintroduire certains pesticides dont un néonicotinoïde qui nuit aux abeilles et de restreindre les contrôles en tout genre. Bref, d’aller beaucoup plus loin que la loi agricole née après les manifestations de l’hiver 2024 et dont la mise en place a été percutée et retardée par la dissolution ratée et l’instabilité politique et gouvernementale qui en a découlé.

À vrai dire, derrière la bataille parlementaire qui commence – 3 500 amendements déposés ! – se rejoue un débat de fond qui n’a, hélas, toujours pas été tranché entre deux visions qui semble inconciliables de l’avenir agricole : celle d’une compétitivité restaurée par la déréglementation, et celle d’une durabilité pensée comme horizon de survie. Tandis que les syndicats majoritaires dénoncent sans cesse une écologie punitive, les ONG fustigent une démocratie environnementale contournée. Pendant ce temps, les agriculteurs, coincés entre endettement, normes changeantes, concurrence déloyale et perte de repères, oscillent entre colère et désarroi comme nous le racontent tous les agriculteurs que nous avons rencontrés. Il faudrait pourtant bien trouver ce chemin de crête entre principes – une souveraineté alimentaire respectueuse de l’environnement et de la santé de tous, agriculteurs les premiers – et réalité – une agriculture mondiale où la compétition est féroce et où les normes et pratiques ne sont pas les mêmes partout.

Dans un contexte international bousculé par les coups de butoir de Donald Trump, l’avenir de l’agriculture ne peut pas, en tout cas, n’être qu’une question franco-française. Notre souveraineté est interdépendante d’abord avec celle de nos voisins européens et c’est dans un cadre européen qu’il faut revoir, discuter, amender et sans doute rebâtir une nouvelle politique agricole commune dans laquelle les agriculteurs français ne seront pas lésés à cause de vertueux mais solitaires engagements écologiques de la France. Une PAC qui ne sacrifie pas non plus la réalité scientifique et permette de préserver une nature épuisée par les conséquences du réchauffement climatique.

En attendant cet aggiornamento qui a timidement commencé à Bruxelles, c’est bien un débat franco-français qui s’ouvre ce lundi. Un débat à hauts risques pour le gouvernement, qui voit se multiplier les crises et les grognes – taxis, médecins et donc agriculteurs… – avant un automne budgétaire annoncé comme cauchemardesque. Autant dire que François Bayrou, dont les leviers politiques sont limités et le crédit dans l’opinion au plus bas, va devoir sortir de sa méthode floue pour répondre aux colères qui montent s’il ne veut pas qu’elles l’emportent…

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 26 mai 2025)

Posts les plus consultés de ce blog

Grandiose !

  Cent ans après les JO de Paris de 1924, les XXXIIIes Jeux Olympiques d’été de l’ère moderne se sont ouverts hier dans la Capitale au terme d’une cérémonie d’ouverture exceptionnelle qui est entrée dans l’histoire en en mettant plein les yeux au monde entier. Les athlètes ont défilé non pas dans un Stade olympique mais en bateau, sur la Seine, sur un parcours rythmé par une mise en scène de toute beauté mettant en valeur la France, son patrimoine, son Histoire, ses talents, avant de rejoindre le Trocadéro devant une Tour Eiffel parée des anneaux olympiques. Nul doute que cette cérémonie réussie, émouvante, populaire, inédite, fera date en se rangeant dans la longue liste des défilés qui ont marqué les JO mais aussi l’histoire de notre pays, de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 à celle pour le Bicentenaire de la Révolution française en 1989, en passant par la Libération de Paris dont on va bientôt célébrer les 80 ans. Cette cérémonie ponctue plusieurs années de préparatio...

Guerres et paix

La guerre menace encore une fois le Pays du Cèdre, tant de fois meurtri par des crises à répétition. Les frappes israéliennes contre le sud du Liban et les positions du Hezbollah ravivent, en effet, le spectre d’un nouveau conflit dans cette Terre millénaire de brassage culturel et religieux. Après quinze années de violence qui ont profondément marqué le pays et ses habitants (1975-1990), la paix est toujours restée fragile, constamment menacée par les ingérences étrangères, les divisions communautaires et une classe politique corrompue. La crise économique sans précédent qui frappe le pays depuis 2019, puis l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en 2020, symbolisant l’effondrement d’un État rongé par des décennies de mauvaise gouvernance, ont rajouté au malheur de ce petit pays de moins de 6 millions d’habitants, jadis considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. Victime d’une spectaculaire opération d’explosion de ses bipeurs et talkies-walkies attribuée à Israël, le Hezbollah – ...

En marche

    Depuis douze siècles des pèlerins convergent vers Saint-Jacques-de-Compostelle qui, avec Jérusalem et Rome, est l’un des lieux des trois grands pèlerinages de la Chrétienté. Mais ceux qui marchent aujourd’hui sur les chemins de Compostelle ne le font pas seulement au nom de leur foi et n’arrivent pas forcément à la destination finale en Espagne. Les pèlerins du XXI e  siècle ne font souvent qu’une partie seulement de l’itinéraire millénaire avec des motivations bien plus diverses. Passionnés de randonnée pédestre, amoureux des paysages ou des monuments qui jalonnent le parcours désormais bien balisé et en partie classé au patrimoine mondial de l’Unesco, certains cheminent seuls, en couple ou en groupe pour accomplir une promesse personnelle, honorer un proche, rencontrer d’autres pèlerins de toutes nationalités ou tout simplement pour se retrouver soi-même. Car la marche est bonne pour le corps et l’esprit. « Les seules pensées valables viennent en marchant...