Les 133 cardinaux électeurs qui se sont enfermés en conclave dans la chapelle Sixtine mercredi auront mis moins de 48 heures pour choisir Léon XIV, le successeur de François, comme cela fut le cas pour ce dernier en 2013 et son prédécesseur Benoît XVI en 2005. Et comme pour ces papes-là, c’est un homme qui ne figurait pas en tête de liste des papabile, les potentiels papes, qui a finalement été choisi après quatre tours de scrutin seulement. Tout le monde se perdait en conjecture depuis la mort de François sur l’indécision supposée des cardinaux, la difficulté à trouver un successeur au populaire et charismatique « pape des pauvres » et leurs divergences pour s’accorder sur un nom et une ligne pour l’Église – conservatrice ou réformiste. Tout le monde, des vaticanistes distingués au 1,4 milliard de catholiques en passant par les journalistes, en aura été pour ses frais.
Mais au-delà de la forme c’est bien sûr le sens que revêt le choix de ce nouveau souverain pontife qui est à souligner, car il ne doit évidemment rien au hasard. Robert Francis Prevost est, d’abord, le premier pape américain, né à Chicago il y a 69 ans. On ne peut s’empêcher de percevoir là une éclatante réponse à l’irrespect dont avait fait preuve le président américain Donald Trump, qui avait publié sur son réseau social Truth social une image générée par intelligence artificielle où on le voyait… dans les habits du pape ! L’image, republiée par le compte X de la Maison Blanche, avait scandalisé le clergé américain. « Il n’y a rien d’intelligent ni de drôle dans cette image, Monsieur le Président. Ne vous moquez pas de nous », avaient écrit les prélats américains. Hier, Donald Trump, qui avouait rêver d’être pape, a été contraint d’en ravaler, se contentant cette fois de saluer très sobrement « un grand honneur pour les États-Unis ».
Le second point notable dans l’élection de Robert Francis Prevost est que celui-ci n’est pas un jésuite comme François mais un augustinien, c’est-à-dire qu’il est de l’ordre de Saint-Augustin, à l’organisation plus souple, davantage tourné vers vie communautaire, la prière et la recherche de Dieu dans l’unité fraternelle. Cette souplesse et cette profondeur spirituelle avaient d’ailleurs séduit François dont il était très proche. Dès lors, il y a bien une forme de continuité entre François l’Argentin et son successeur américain.
Enfin, c’est le choix du nom du pape qui est marquant. Léon n’avait pas été utilisé depuis la mort de Léon XIII (1810-1903), un pape très important dans l’histoire de l’Église puisque, à l’ère industrielle, il avait été à la fois progressiste par son ouverture au monde et son attention à la classe ouvrière, et conservateur par son respect strict de la doctrine catholique traditionnelle. Il a surtout fondé la doctrine sociale de l’Église ; un bouleversement majeur dont Léon XIV va se faire l’héritier pour affronter les grands chantiers de l’Église : préserver son unité, en harmoniser le fonctionnement et en redresser les finances, lutter contre les abus sexuels en son sein, réfléchir enfin à la place des femmes et relancer les vocations sacerdotales dans des sociétés de plus en plus sécularisées, ou encore déployer une vraie diplomatie pour le dialogue et la paix dans un monde en proie à la montée des populismes et des identitarismes.
Les premiers mots de Léon XIV, polyglotte qui parle le français, ont d’ailleurs été un « appel de paix » à « tous les peuples » pour « construire des ponts » à travers « le dialogue ». Dans le fracas d’un monde bouleversé par de multiples guerres et tensions qui ne cessent d’ériger des murs, l’appel de Léon XIV sera-t-il entendu ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 9 mai 2025)