Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 janvier dernier, le destin de l’Ukraine semble pris en étau par deux architectes du chaos – pour paraphraser l’écrivain Giuliano da Empoli et ses ingénieurs du chaos – lancés dans une sorte de rivalité-fascination réciproque, aussi fracassante qu’inquiétante pour le monde, et dont personne ne sait comment elle va se terminer. Donald Trump et Vladimir Poutine sont faits du même bois, entre narcissisme et paranoïa, autoritarisme et absence d’empathie, usant du chaos pour asseoir leur pouvoir et désireux de revenir au temps des empires, l’âge d’or (golden age) de l’Amérique du XIXe siècle pour l’un, l’URSS pour l’autre. Mais si des points communs sont patents entre les deux dirigeants, des différences importantes subsistent entre le milliardaire américain bling-bling de 78 ans et l’austère ancien agent du KGB de 72 ans.
En revenant au pouvoir après une stupéfiante remontada, Donald Trump, mû par la volonté de se venger de tous ceux qui l’ont contesté, est mieux préparé que lors de son premier mandat. Ses 100 premiers jours ont donné le vertige par le nombre de décisions prises et les renversements des politiques américaines menées jusqu’à présent. La guerre commerciale et ses tarifs douaniers XXL a déstabilisé l’économie mondiale ; le rapprochement avec Moscou a renversé les alliances avec l’Europe en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Trump espérait surtout commencer son mandat en réglant la guerre en Ukraine en 24 heures, puis en 100 jours – rêvant même du prix Nobel – pour ensuite nouer des relations commerciales bilatérales fructueuses avec la Russie afin de contrer la Chine. On en est loin.
De l’autre côté, Vladimir Poutine a semé le chaos depuis bien longtemps, orchestrant des guerres en Tchétchénie, des ingérences en Géorgie, des opérations d’influence contre les États-Unis et des pays européens – dont la France – et une guerre en Ukraine dont les prémices ont commencé par l’annexion de la Crimée en 2014 avant l’invasion de l’Ukraine il y a maintenant plus de trois ans. Poutine a vu l’arrivée au pouvoir de Trump, ce businessman sauvé de la faillite par la Russie dans les années 80-90, d’un bon œil. Et lui a laissé l’impression de vouloir négocier.
Mais la vedette de téléréalité qui a signé le best-seller « L’art du deal » et l’ancien espion rompu aux manipulations subtiles et/ou brutales ne sont pas sur un pied d’égalité. Donald Trump a eu beau signer cette semaine un accord minier important avec l’Ukraine, il a dû concéder que le maître du Kremlin semblait le « balader ». Et pour cause, là où Trump veut des résultats rapides et tangibles, en tout cas avant les élections de midterm en 2026, Poutine, qui restera au pouvoir jusqu’en 2036, a le temps pour lui et joue la montre, quitte à épuiser économiquement son pays.
Face à l’inexpérience des diplomates américains, Poutine met en œuvre la méthode Gromyko, du nom de l’ex-ministre soviétique des Affaires étrangères que les Occidentaux appelaient Monsieur Niet pendant la guerre froide. Le président russe fait mine de vouloir négocier, demande le maximum, y compris ce qu’il n’a jamais eu, lance des ultimatums – comme sur la trêve qu’il a unilatéralement décrétée du 8 au 10 mai – mais ne cède rien, espérant obtenir une partie de ce qu’il exige. Le monde regarde ce bras de fer, avec impuissance chez les Européens et inquiétude chez les Ukrainiens. S’il y a deux architectes du chaos, il semble n’y avoir qu’un seul maître des horloges. Et, pour l’instant, il est à Moscou…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 3 mai 2025)