L’année prochaine cela fera 70 ans que James Watson et Francis Crick ont proposé une structure de l’ADN, l’acide désoxyribonucléique : la célèbre double hélice hélicoïdale. Associés avec Maurice Wilkins, qui permit une visualisation de la molécule d’ADN par diffraction des rayons X, ils reçurent le prix Nobel de Physiologie et de Médecine en 1962, ouvrant la voie à la compréhension de l’ensemble des mécanismes moléculaires de l’expression génétique : de la réplication de l’ADN au code génétique, en passant par la transcription. Les trois scientifiques, pionniers de la biologie moléculaire, ne se doutaient sans doute pas que la découverte de la structure de l’ADN permettrait des avancées majeures dans des domaines aussi différents que la médecine, les enquêtes criminelles pour confondre des coupables ou les décisions de justice pour établir des liens de filiation. Ils se doutaient encore mois que le test ADN se banaliserait au point d’être aujourd’hui aussi facile à commander qu’un livre sur internet.
La démocratisation des techniques scientifiques d’analyse ont, en effet, conduit à l’émergence d’un véritable business de l’ADN. Connaître son groupe ethnique, vérifier que l’on est bien le fils de ses parents ou le frère de sa sœur, comparer son ADN à une immense base de données génétiques pour tenter de retrouver un père, reconstituer son arbre généalogique ou détecter les risques de maladies comme un cancer : autant de promesses alléchantes que proposent de nombreuses sociétés de biotechnologie. Pour quelques dizaines d’euros, elles s’occupent de tout de l’envoi à domicile d’un kit de prélèvement à la livraison des résultats sur un compte personnel en ligne. Simple, basique, ludique… mais risqué.
Car ces entreprises, la plupart américaines, ne collectent pas des préférences de consommation pour alimenter des bases de données marketing mais bien des données génétiques sensibles, données de santé considérées comme « à risque » par la Cnil et protégées en Europe par le RGPD, le règlement général sur la protection des données. Malgré toutes les garanties que mettent en avant ces sociétés privées, un doute subsiste sur le devenir des données collectées, potentiellement piratables ou vendables à des tiers. Entre l’Union européenne et les États-Unis, la vision de la donnée personnelle est bien différente, entre un bien commercialisable comme un autre et une caractéristique individuelle à laquelle doivent d’attacher des droits.
C’est la raison pour laquelle la France persiste à interdire et à punir pénalement ces tests ADN organisés hors d’un cadre médical ou judiciaire protecteur pour les utilisateurs. Un combat qui se heurte à l’engouement mondial pour les kits ADN et l’envie du public de tout connaître de ses origines ou de son patrimoine génétique. Les kits ADN ne sont pas près de disparaître et s’ils doivent sans doute être mieux encadrés et offrir davantage de garanties ils pourraient bien au final être très utiles à la médecine. Les immenses bases de données génétiques issues des kits peuvent ainsi permettre de faire émerger de nouvelles thérapies géniques. La révolution ADN commencée en 1953 est loin d’être terminée…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 14 août 2022).