C’était le dernier convoi, autant dire presque le dernier voyage pour l’Airbus A380 dont les dernières pièces ont été convoyées par la route vers Toulouse dans la nuit de mercredi à jeudi, sur le fameux itinéraire à grand gabarit. Le géant des airs, dont les derniers exemplaires sortiront des chaînes de montage de l’avionneur européen l’année prochaine, aura marqué son époque et ouvert un chapitre important de l’histoire de l’aéronautique mondiale. Lancé au tournant du siècle, l’A380 – qui aura coûté quelque 30 milliards d’euros, surcoûts compris – était "une décision risquée", prise sans savoir ce que le marché allait réellement devenir. Un pari osé qui s’est révélé infructueux. L’A380 devait répondre à la congestion du trafic, mais en dépit d’un triplement de celui-ci en 15 ans, les aéroports n’ont pas été saturés. Il ambitionnait de relier le monde entier, mais ne pouvait pas atterrir partout compte tenu des infrastructures dont il avait besoin et donc des investissements que devaient faire les aéroports pour pouvoir accueillir un tel superjumbo. Il portait la promesse de faire des économies avec ses deux ponts, mais les compagnies ont souvent peiné à remplir l’avion en basse saison, et le coût de l’appareil est devenu trop important après la crise financière de 2008. Il était un géant, mais le marché préférait des bimoteurs plus performants, plus économes chez Boeing et même chez Airbus avec l’A350.
Tel l’Albatros de Baudelaire, magnifique dans le ciel, pataud sur terre, l’A380 s’est ainsi révélé être une prouesse technologique mais un cuisant échec commercial. Il ne saurait toutefois se résumer à cela. L’A380 a été un instrument fort pour souder les différentes composantes européennes d’Airbus ; il a permis à l’avionneur européen de devenir un géant, d’épater le monde et de faire la fierté de l’Europe comme de notre région. Ce programme a aussi permis à Airbus d’acquérir un savoir-faire qui fait que sans l’A380, cet avion mal né, Airbus n’en serait pas là où il est aujourd’hui.
Le dernier convoi de la nuit passée est venu rappeler combien l’A380 a été une incroyable épopée aéronautique, à une époque où elles se font rares. Une formidable aventure humaine, qui a réuni des milliers de compagnons, auxquels le PDG d’Airbus Guillaume Faury a rendu hommage en étant sur le passage du convoi, et dont certains avaient leur visage affiché sur le dernier tronçon de fuselage de l’A380. Aventure humaine aussi pour tous les habitants des villages du Sud-Ouest traversés par ces impressionnants convois.
La nuit dernière, ils étaient descendus nombreux dans les rues pour saluer un moment historique et dire notre émotion et notre fierté partagée.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 19 juin 2020)