Au début de l’épidémie du coronavirus, un film de Steven Soderbergh sorti en 2011 s’est retrouvé propulsé en tête des plateformes de vidéo à la demande : Contagion. Ce long-métrage raconte comment un virus mortel né en Asie se propage partout dans le monde, provoquant des millions de morts et la panique dans une population prête à céder à toutes les théories du complot avant que l’on ne trouve un vaccin. Cette fiction, étonnamment prémonitoire, est aujourd’hui dépassée par la réalité de l’épidémie que nous traversons avec le scandale qui ébranle la communauté scientifique, après la publication par The Lancet d’un étude biaisée sur la chloroquine, cette molécule dont on ne sait toujours pas avec certitude si elle peut constituer un traitement pertinent ou non contre le coronavirus SARS-CoV-2.
La prestigieuse revue médicale s’est, d’évidence, fait abuser par une start-up inconnue jusque là, Surgisphere, qui lui a fourni des données en nombre prétendûment issues de centaines d’hôpitaux. Le prestige de la revue et les conclusions inquiétantes de l’étude – la chloroquine a non seulement aucun effet sur la maladie Covid-19 mais elle augmente fortement les risques de décès des patients – ont conduit l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et les autorités de plusieurs pays dont la France à prendre des décisions aussi rapides que radicales en interrompant les autorisations de prescription et les essais cliniques. Ce n’est que grâce à l’opiniâtreté de quelques chercheurs mués en lanceurs d’alerte, qui ont passé au peigne fin l’étude du Lancet, qu’on a découvert que les données étaient potentiellement falsifiées, décrédibilisant du coup l’étude, désormais retirée, contraignant l’OMS à faire machine arrière, et ravivant la controverse autour de la chloroquine, notamment en France entre les partisans et les contempteurs du professeur Raoult, ce dernier ne cachant évidemment pas sa joie...
Ce fiasco, qui intervient alors que l’épidémie est loin d’être terminée dans le monde, est finalement, hélas, l’aboutissement de semaines d’emballement au cours desquelles les scientifiques travaillant sur le Covid-19 ont subi des pressions de toutes parts. Pressions politiques, pression médiatique des chaînes d’information en continu en recherche permanente du buzz, pressions feutrées des lobbys pharmaceutiques ou tonitruantes des complotistes sur les réseaux sociaux, et pression aussi des scientifiques entre eux, on le voit avec le professeur Raoult qui se vit en franc tireur marseillais vertueux face à des mandarins parisiens qui lui en voudraient personnellement...
L’espoir de trouver le plus rapidement possible le meilleur traitement avant un vaccin est évidemment légitime pour des populations qui ont peur du virus meurtrier. Mais le temps de la science ne peut être le temps politique et médiatique. En voulant s’immiscer trop vite dans le débat, sans suffisamment de vérifications, The Lancet a jeté le soupçon sur la communauté scientifique et miné un élément fondamental, particulièrement dans le contexte d’une pandémie : la confiance des citoyens dans la science.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 6 juin 2020)