En quelques jours les Etats-Unis ont donné au monde deux visages, comme l’avers et le revers d’une même médaille : le rêve américain avec un self made man, Elon Musk, qui parvient en vingt ans à peine à bâtir une entreprise spatiale capable d’envoyer à nouveau des hommes dans l’espace ; le cauchemar américain où l’on voit une nation divisée et fracturée comme jamais avec un racisme endémique terrifiant dont sont victimes depuis trop longtemps les Afro-Américains.
Ce n’est, hélas, pas la première fois que des émeutes secouent l’Amérique. On se souvient de celles de 1968 qui suivirent l’assassinat de Martin Luther King, de celles qui embrasèrent le pays en 1991 après le tabassage de Rodney King à Los Angeles, ou encore de celles de Baltimore en 2015 en réaction à la mort de Freddie Gray. La mort de George Floyd le 25 mai, après qu’un officier de police de Minneapolis,Derek Chauvin, s’est agenouillé sur son cou pendant 8 minutes et 46 secondes sera-t-elle le drame de trop ?
En tout cas, il ne faudra pas compter sur Donald Trump pour répondre aux revendications légitimes des Afro-Américains. Réunis depuis 2013 dans le mouvement Black Lives Matter (la vie des Noirs compte), ils veulent évidemment moins de racisme dans les rangs de la police en particulier et de la société en général, et réclament plus d’égalité sociale. À l’heure du Covid-19 où le pays traverse une crise sanitaire majeure qui a fait plus de 100 000 morts et une crise économique jamais vue depuis 1929 avec près de 40 millions de chômeurs, le président Trump a choisi de jeter de l’huile sur le feu en ne s’adressant qu’à son camp, à coups de tweets incendiaires. Bible en main, reprenant le slogan de Nixon Law and Order (la loi et l’ordre), menaçant de faire intervenir l’armée pour endiguer de spectaculaires pillages qui ne sauraient masquer les manifestations monstres pacifiques, Trump compte, d’évidence, sur le chaos pour dissimuler ses erreurs de gestion et rebondir pour remporter l’élection présidentielle de novembre. Mais ce président qui avait mis un signe égale entre les suprémacistes blancs surarmés et les antiracistes lors des manifestations de Charlottesville en 2017, peut-il l’emporter face à la lame de fond du mouvement d’indignation qui s’étend dans le pays ? Nixon avait été élu en 1968, donc tout est possible. Mais "rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu" disait Victor Hugo. Après l’abolition de l’esclavage, de la ségrégation, des discriminations au plan juridique, les Afro-Américains veulent l’égalité réelle, maintenant.
Leur combat dépasse d’ailleurs les frontières américaines et, via la puissante caisse de résonance des réseaux sociaux, essaime partout dans le monde. En France, certains font ainsi un parallèle entre les exactions racistes, les méthodes d’une partie de la police américaine et la façon dont les forces de l’ordre françaises ont été impliquées dans des violences inédites sous la Ve République contre des Gilets jaunes ou de jeunes hommes comme Adama Traoré, mort après un placage ventral.
La France n’est pas l’Amérique, tous les policiers ne sont heureusement pas racistes, mais le Défenseur des droits Jacques Toubon a récemment dressé un constat très sombre des contrôles d’identité répétés et abusifs et dénoncé une "discrimination systémique" par la police, à Paris.
Ce combat contre le racisme et pour l’égalité, où qu’il se déroule, reste en tout cas un combat universel, de longue haleine, qui doit être mené par tous ceux qui, comme Jaurès, estiment qu’"il n’y a qu’une race : l’humanité."
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 4 juin 2020)