"Je le sais maintenant, c’est une erreur d’affirmer que l’on peut enterrer le passé : il s’accroche tant et si bien qu’il remonte toujours à la surface", écrivait Khaled Hosseini dans son livre "Les cerfs-volants de Kaboul" paru en 2003. L’avenir, hélas, lui a donné raison.
La chute de Kaboul, conquise hier par les talibans au terme d’une offensive éclair qui n’a rencontré que très peu de résistance de la part d’une armée afghane anémique, signe un retour vers l’enfer islamiste pour une population qui, depuis 1978 et l’invasion soviétique, n’aura connu que la guerre et le chaos. Si les talibans, appuyés en sous-main par le Pakistan voisin, assurent qu’ils ont changé par rapport à l’époque où ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001, la réalité est, hélas, tout autre. Un rapport de la Commission afghane indépendante des droits de l’Homme (AIHRC) a d’ailleurs clairement documenté des violences – massacres de civils, décapitations, enlèvements d’adolescentes pour les marier de force – perpétrées durant la conquête des capitales provinciales qui sont tombées une à une depuis le mois de mai.
La chute de Kaboul signe aussi un terrible échec pour les Occidentaux et une déroute cinglante pour les Etats-Unis. On comprend que le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken réfute toute comparaison entre la situation afghane et la chute de Saïgon en 1975. Et pourtant, les rotations d’hélicoptères US qui doivent évacuer près de 30 000 personnes rappellent évidemment les évacuations de l’opération Frequent Wind qui marqua la fin de la guerre au Vietnam et une traumatisante défaite pour les Etats-Unis. En décidant de confirmer le retrait des troupes américaines décidé en 2018 par son prédécesseur Donald Trump, Joe Biden a acté la fin d’une présence militaire de vingt ans qui aura coûté des milliards de dollars sans finalement obtenir le résultat escompté, mais aussi pris le risque d’endosser la création d’une situation chaotique et explosive. Le 11 septembre 2021, vingt ans après les attentats des tours jumelles, lorsque le retrait des troupes américaines sera effectif, on sera comme revenu à la situation de 2001… avec à nouveau au pouvoir ceux-là mêmes qui en avaient été chassés.
"Si les talibans arrivent à Kaboul, je me suicide avant d’être tuée ou réduite en esclavage". Tel était le message, le 28 juillet dernier, de Fatima A., une jeune Afghane de 28 ans, employée comme auxiliaire par l’armée française en Afghanistan entre 2011 et 2012 et qui s’est vu refuser une demande de visa par la France au prétexte qu’elle ne pouvait prouver la réalité des menaces la visant… La France ne peut pas ne pas entendre ce SOS, ni l’appel du fils du commandant Massoud à ce qu’elle n’abandonne pas les combattants de la liberté. Autrement dit, que le déshonneur ne s’ajoute pas à la déroute…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 16 août 2021)