Du dossier de la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, tout aura été dit. Depuis vingt-cinq ans, depuis le 19 mai 1996 exactement, date à laquelle s’est déroulé le premier lâcher d’une ourse slovène – organisé dans le cadre d’un plan de réintroduction européen pour sauver l’ours des Pyrénées – les oppositions sont restées à vif entre les pro et les anti, chacun campant sur sa logique et sur deux idées que l’on se fait de la place de l’homme dans la montagne.
D’un côté, fortes du soutien d’une opinion publique qui connaît finalement peu l’économie de la montagne et le quotidien des éleveurs qui y vivent à l’année, les associations de défense de l’environnement et de la biodiversité se félicitent de voir que la population d’ursidés a considérablement augmenté, que l’image de l’ours et son impact touristique sont désormais consubstantiels aux Pyrénées et qu’il faut évidemment poursuivre le programme ours.
De l’autre, les éleveurs ont consenti de nombreux efforts pour sécuriser leurs troupeaux avec des chiens Patou ou réalisé des aménagements. Engagés dans des démarches de valorisation et de labellisation de leur production qui participent elles aussi à la renommée de la région, ces éleveurs n’en peuvent plus des déprédations commises par les ours qui, même si elles sont indemnisées, constituent un stress permanent.
Entre les deux camps, chacun soutenu par des élus locaux et nationaux, l’Etat a toujours tenté de contenter les uns et les autres, de trouver dans ce dossier miné, une voie médiane entre deux conceptions quasi irréconciliables, ménageant les engagements internationaux de la France et en même temps préservant l’économie de la montagne. Cette voie médiane, assumée avec plus ou moins de courage et de clarté par les différents présidents de la République, est un chemin de crête qui ne satisfait personne. Vingt-cinq ans après, le dossier paraît toujours aussi verrouillé.
C’est pour tenter de le débloquer que des éleveurs et des élus ariégeois veulent lancer l’idée d’un « Parlement de la montagne ariégeoise », en s’appuyant sur le projet de loi « 4D » (décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification). Adopté en première lecture au Sénat fin juillet, celui-ci veut promouvoir la démocratie locale et donner aux élus locaux la capacité de prendre des décisions aujourd’hui prises à l’échelle nationale, notamment sur des questions écologiques. L’objectif de ce « parlement » serait au final d’obtenir de l’Etat le transfert du dossier ours de Paris vers les Pyrénées pour une gestion plus locale. Reste que si cette instance traduit incontestablement l’exaspération des éleveurs face à un Etat jugé sourd à leurs difficultés, elle soulève de nombreux problèmes : quid de sa représentativité ? de sa légitimité démocratique ? de sa composition ? de son articulation avec la kyrielle d’instances politiques, associatives ou syndicales qui représentent déjà les habitants du territoire ?
Le dossier ours est un dossier complexe, qui soulève évidemment des enjeux locaux mais aussi d’autres nationaux et internationaux. L’État ne peut pas s’en désengager et ne pas en être le garant, à condition qu’il sache donner la parole et écouter vraiment ceux qui vivent dans les Pyrénées.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 13 août 2021)