En se rendant hier en Haute-Garonne pour parler "été apprenant" et éducation, à deux semaines d’une rentrée scolaire qui s’organise sous la menace du coronavirus, Jean Castex ajoute une nouvelle étape à un véritable tour de France entamé tambour battant dès sa nomination surprise à Matignon, le 3 juillet dernier. C’est peu dire que le Premier ministre a mouillé la chemise cet été, multipliant les déplacements, seul ou accompagné de ses ministres, s’exprimant sur tous les thèmes – du coronavirus à la sécurité – et sur tous les terrains – de la Guyane à Nice, de Dijon à Nantes, de l’Hérault à la Haute-Garonne. Occupant – pour ne pas dire monopolisant – la scène médiatique continuellement, il s’est appliqué finalement ce qu’il avait demandé à ses ministres lors du séminaire gouvernemental le 11 juillet : aller sur le terrain, dans les "territoires."
Les Français ne connaissaient pas Jean Castex, ils auront appris cet été à entr’apercevoir l’homme derrière l’énarque, bien connu d’une haute administration dont les rouages n’ont plus guère de secrets pour lui. Si cette multiplicité de déplacements n’a pas fait oublier son prédécesseur Edouard Philippe – qui caracole en tête des personnalités politiques préférées des Français – elle a en tout cas permis à l’hôte de Matignon d’imprimer son style. Moins sec et plus en rondeur, avec un langage moins technocratique et plus compréhensible, moins rigide et plus ouvert au dialogue, et avec cet accent – moqué au début par le microcosme parisien, mais qui se révèle jour après jour être un atout – Jean Castex s’attache à montrer qu’il n’est pas que le "collaborateur" du président de la République que certains ont cru voir en lui au moment de sa nomination.
Déplacement après déplacement, il apparaît comme complémentaire du chef de l’Etat, non pas seulement au niveau institutionnel, mais bien sur des aspects de personnalité, d’expérience, de tempérament qui font défaut à Emmanuel Macron. Jean Castex, qui fait penser à Pompidou, se veut l’incarnation pateline du "bon sens près de chez vous" pour reprendre un slogan qui a fait florès, sans cesse louant les "territoires" et, mezza voce, la "France d’en bas" invoquée il y a bientôt vingt ans par Jean-Pierre Raffarin.
Cette "méthode Castex" sera-t-elle suffisante pour redresser un quinquennat bousculé dans ses certitudes réformistes par le coronavirus et contraint de se réinventer en pensant contre lui ? Permettra-t-elle en quelque 600 jours de renouer le dialogue avec les partenaires sociaux, les élus locaux et finalement les Français – toujours adeptes de dégagisme – jusqu’à la présidentielle de 2022 ?
Rien n’est moins sûr. Cet été, Jean Castex a parcouru la France, souvent loin de Paris, comme une mise en jambes. Car la rentrée sera celle des dossiers et des décisions difficiles, sur la relance économique, sur la gestion sanitaire du coronavirus et sur une myriade de sujets sensibles, le tout sur fond d’élections sénatoriales et régionales qui vont arriver à grand pas. Pour Jean Castex, ce sera l’épreuve du feu, celle que ces prédécesseurs ont souvent appelé l’enfer de Matignon.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 19 août 2020)