Ils n’ont évidemment aucun lien entre eux et leur concomitance relève du hasard, mais en pleine crise du coronavirus, angoissante par essence, l’accumulation de faits divers, parfois violents, qui ont eu lieu ces dernières semaines ajoute au sentiment d’insécurité des Français. Selon le dernier baromètre Odoxa-Fiducial paru fin juillet, 68 % d’entre eux disent ne pas se sentir en sécurité. Avec cette hausse de 10 points en six mois, jamais ce sentiment n’avait connu une telle augmentation en un semestre, même au moment des différents attentats perpétrés en 2015 et 2016. Autant dire que ce sujet s’invite dans une rentrée déjà passablement compliquée pour l’exécutif, entre crise sanitaire et relance économique. Un sujet d’autant plus épineux qu’il constitue le talon d’Achille d’Emmanuel Macron, le point faible du quinquennat. Lors de la campagne présidentielle de 2016, le candidat Macron avait – déjà – été attaqué, notamment par la droite, sur son manque d’intérêt pour les questions régaliennes et de sécurité. Quatre ans plus tard, les mêmes attaques resurgissent sur le supposé laxisme de l’exécutif. De la part de l’extrême droite, sans surprise, mais aussi de la droite, dont la sécurité reste le seul thème lui permettant de se différencier des Macronistes. Xavier Bertrand, le président de la Région Hauts de France, a évoqué jeudi un "été Orange mécanique", faisant référence au film de Stanley Kubrick sur l’ultraviolence, et a pointé une faillite du quinquennat, Valérie Pécresse parlant, elle, des "nouveaux barbares…"
Depuis mai 2017, faute de disposer d’une vision claire sur la sécurité et d’une personnalité politique de poids pour l’incarner, à l’instar d’un Joxe, d’un Pasqua ou d’un Valls, le chef de l’Etat a sans cesse essuyé des déconvenues avec les locataires de la place Beauvau. Gérard Collomb, le fidèle d’entre les fidèles, n’a pas su nouer des liens de confiance avec policiers et gendarmes et a plusieurs fois divisé la majorité présidentielle notamment sur la loi asile et immigration. Il démissionnera du ministère après 16 mois sur un bilan très contesté, marqué par l’affaire Benalla. Son successeur Christophe Castaner accumulera les gaffes et, surtout, peinera à établir un cadre pour que les forces de l’ordre contiennent les débordements des Gilets jaunes. Le résultat est catastrophique avec des affrontements urbains inédits et surtout les images terribles de manifestants blessés, éborgnés pour certains. Des violences policières qui feront l’objet d’un déni de l’exécutif.
Avec Gérald Darmanin, Emmanuel Macron tient-il l’homme de la situation ? Venu des Républicains, l’ambitieux ministre – qui fait l’objet d’une enquête pour viol par ceux-là même qu’il dirige – met ses pas dans celui d’un de ses prédécesseurs et mentor, Nicolas Sarkozy. Même activisme, même soif de terrain et de déclarations chocs empruntant parfois les mots de l’extrême droite, un compte Twitter en plus. Mais cette omniprésence médiatique qui confine au "matamorisme" – le mot est de Jean Castex – ne saurait suffire quand les Français demandent tout simplement des résultats.
À moins de 600 jours de la présidentielle de 2022 dont la sécurité sera l’un des thèmes, Emmanuel Macron est comme au pied du mur pour (re) définir une doctrine : apporter les moyens et la considération nécessaires aux forces de l’ordre, et aux citoyens les garanties d’une police républicaine à leur service. L’occasion pour le chef de l’Etat de se rappeler le mot de Pierre Mauroy pour ne pas tomber dans la surenchère sécuritaire : "La droite dit : la première liberté, c’est la sécurité. Nous disons au contraire : la première sécurité, c’est la liberté."
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 31 août 2020)