Depuis hier 20 heures et la décision du Président Macron de mettre le pays en confinement pour au moins 15 jours afin de faire face au coronavirus Covid-19, la France est entrée dans une nouvelle ère en affrontant une épreuve de celles qui marquent l’Histoire, les femmes et les hommes de ce pays. Notre horizon s’est subitement rétréci, notre vie professionnelle et familiale se retrouve bouleversée, notre quotidien bousculé dans sa banalité, nos priorités se sont recentrées sur l’essentiel, nos projets immédiats ou de long terme sont désormais reportés et suspendus sans que l’on ne sache jusqu’à quand. Seul compte désormais l’urgence absolue de faire bloc, ensemble, pour faire face, de faire nation pour préserver l’espoir. Et pour cela, chacun doit être à la hauteur.
Pour le gouvernement, il s’agit d’être désormais à la hauteur d’une situation inédite qu’aucun autre avant lui n’a eue à affronter. Sans doute a-t-il tardé à prendre la véritable mesure de l’épidémie. Fin janvier – cela semble si loin ! – la ministre de la Santé Agnès Buzyn assurait que le risque de voir ce virus qui paralysait Wuhan arriver chez nous était "pratiquement nul". Encore la semaine dernière la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye se gaussait publiquement des mesures drastiques prises par Rome au risque de froisser nos amis italiens. Et Emmanuel Macronn’expliquait-il pas lui-même tout récemment qu’il ne fallait pas renoncer à sortir et aller au théâtre ?
Le chef de l’État – heureusement – a changé de braquet jeudi dernier avec les fermetures d’établissements scolaires et universitaires, puis son Premier ministre a ordonné la fermeture des bars, restaurants et commerces non indispensables samedi soir. Des mesures de bon sens balayées par une injonction aussi contradictoire qu’incompréhensible : restez chez vous mais n’oubliez pas d’aller voter pour le premier tour des municipales, préserver votre santé et "en même temps" le rendez-vous démocratique d’une élection locale que la raison aurait logiquement dû faire reporter – quitte à braquer des oppositions qui plaidaient pour un maintien irresponsable.
En s’adressant à nouveau aux Français hier, Emmanuel Macron a cette fois pris toute la mesure du danger du coronavirus. Et on espère que, désormais, la communication jusqu’à présent opaque et zigzagante du gouvernement se place sous le signe de la clarté. "L’homme n’a pas besoin d’espoir, il a simplement besoin de vérité" disait Albert Camus. Hier Emmanuel Macron a promis la vérité aux Français.
Mais être à la hauteur de cette crise ne concerne évidemment pas que l’exécutif mais chacun d’entre nous. En dépit de l’accélération des cas de contamination partout en France, en dépit des témoignages édifiants des personnels soignants remarquables de dévouement jusqu’à l’épuisement physique et moral, nous n’avons pas pris au sérieux cette épidémie. Les gestes barrières n’ont pas été suffisamment mis en pratique, la fermeture des bars a donné lieu à d’ultimes "Corona-night" et ce dimanche, de Paris à Toulouse, on a vu des centaines de Français agglutinés dans des parcs pour profiter des prémices du printemps. Peut-être était-ce là la résurgence des réactions que nous avions eues face aux attentats de 2015. Il fallait à ce moment-là continuer à vivre, montrer au monde notre force et aux terroristes qu’ils ne nous atteindraient jamais. Face au coronavirus, c’est tout l’inverse : pour être ensemble, il faut accepter d’être seul, confiné chez soi pour faire baisser les contaminations. Cette discipline est la seule valable pour gagner la "guerre sanitaire" évoquée hier par Emmanuel Macron.
Dans quelques semaines, quelques mois, il nous faudra ensuite être, collectivement, à la hauteur d’un monde nouveau qui s’ouvrira, repenser l’organisation de pans entiers de nos sociétés en termes économiques, politiques, démocratiques. Et essayer de faire mentir Lampedusa qui assurait que "tout change parce que rien ne change". Parce que cette fois, il y aura incontestablement un avant et un après.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 17 mars 2020)