« Ne sous-estimez jamais un homme qui se surestime », disait Roosevelt. Au vu des résultats – partiels – de l’élection présidentielle américaine qui s’est déroulée mardi et qui est loin d’être terminée, on mesure combien le lointain prédécesseur de l’imprévisible Donald Trump avait raison. Car le scénario qui est en train de s’écrire pour les Etats-Unis est le pire de ceux qui avaient été imaginés : un chaos électoral qui pourrait menacer la démocratie elle-même.
En premier lieu, il convient de remarquer la robustesse de Donald Trump, le Président sortant ayant déjoué tous les pronostics. Joe Biden devait devancer de 9 points son rival selon les instituts de sondage ? Les scores entre les deux candidats sont beaucoup plus resserrés que prévu et les sondeurs se retrouvent dans la même délicate position qu’en 2016, quand ils donnaient Hillary Clinton largement gagnante. Les Etats-clés – les fameux swing states – devaient revenir pour l’essentiel dans le camp démocrate ? Rien n’est moins sûr et l’emblématique Floride reste acquise à Trump. Le vote des latinos devait mécaniquement aller vers Joe Biden ? Il s’est réparti de façon beaucoup plus nuancée entre les deux candidats. La crise sanitaire du Covid-19 très mal gérée par Donald Trump devait logiquement l’affaiblir ? L’économie semble être restée un facteur majeur dans le choix des électeurs.
Si l’on ne connaît pas encore le résultat définitif de l’élection, on peut d’ores et déjà en tirer des enseignements : l’irruption de Trump à la Maison Blanche en 2016 n’était pas un accident de l’Histoire et le mouvement politique populiste, ultraconservateur, d’extrême droite pour certains, qu’il a bâti autour de sa personne en phagocytant le parti républicain, s’est durablement installé dans le paysage politique au prix d’une polarisation jamais vue de l’opinion et d’une division durable du pays.
Une division qui devrait perdurer dans les jours qui viennent. Alors même que les dépouillements n’étaient pas terminés dans plusieurs Etats, Donald Trump a pris la parole pour revendiquer la victoire et considérer que tous les votes qui arriveraient après le 3 novembre seraient nuls et non avenus. « Ils essaient de nous voler l’élection. Jamais nous ne les laisserons faire », a martelé le président, qualifiant le scrutin de « honte » et dénonçant sans aucune preuve de prétendues « fraudes » ourdies par les démocrates sur les votes par correspondance. Et Donald Trump d’annoncer qu’il demanderait à la Cour suprême – désormais très conservatrice – d’arrêter le décompte des voix qui ne l’ont pas encore été…
En faisant cela, Donald Trump rappelle à l’Amérique l’humiliant épisode du recomptage de l’élection présidentielle de 2000 qui opposait George W. Bush à Al Gore et que la Cour suprême avait dû arbitrer. Mais surtout, en s’opposant de façon aussi spectaculaire à un processus électoral en cours, il jette le discrédit sur ce qui fonde toute démocratie, et particulièrement celle des Etats-Unis : le caractère sacré de l’élection. Ne pouvant concevoir une défaite qui est pourtant bien possible face à Joe Biden, Donald Trump est prêt – et ses partisans chauffés à blanc avec lui – à opérer comme un coup d’Etat institutionnel.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 5 novembre 2020)