L’élection présidentielle américaine qui se déroule aujourd’hui débouchera-t-elle sur la nuit la plus longue eu égard au délicat comptage des voix, notamment celles reçues par correspondance, qui nécessitera peut-être plusieurs jours durant lesquels tout peut se passer, et notamment des heurts ? En tout cas, le pays retient son souffle pour cette élection historique qui offre deux perspectives radicalement différentes, deux choix de société diamétralement opposés et vraisemblablement un moment de bascule pour le pays mais aussi pour le monde. Soit le président républicain sortant Donald Trump, aujourd’hui largement distancé dans les sondages, créé, comme en 2016, une énorme surprise, et les Etats-Unis vont s’enfoncer pendant quatre années de plus – cette fois sans le frein que pouvait constituer pour lui sa réélection – dans une politique ultraconservatrice, protectionniste, hostile au multilatéralisme, où les faits comptent moins que des opinions, où les adversaires sont vus comme des ennemis bons à conspuer sur Twitter, où les minorités toujours bonnes à mépriser. Soit le candidat démocrate Joe Biden, actuellement porté par les sondages, parvient à stopper Donald Trump et remettre les Etats-Unis dans une normalité démocratique sur la scène intérieure comme à l’international.
Jusqu’à la fin 2019, la perspective de voir Trump réélu prenait de plus en plus de consistance, car, en dépit des guerres commerciales menées contre la Chine ou l’Europe, en dépit d’une politique étrangère erratique faite de « coups » et de replis, Donald Trump pouvait se targuer d’une économie en forme, LE critère clé. Lors la campagne présidentielle de 1992, le conseiller politique de Bill Clinton, James Carville, n’avait-il pas affiché dans son bureau le slogan « It’s the economy, stupid ! » pour rappeler combien l’économie restait, au-delà de tout, la priorité des électeurs. Mais l’arrivée du coronavirus a tout bouleversé. Entre un Trump dans le déni scientifique, incapable d’avoir su apporter une réponse sanitaire nationale pour éviter plus de 230 000 morts, record mondial, et un Biden, systématiquement masqué, qui martèle sa foi en la science et montre son empathie avec les familles victimes, l’épidémie pourrait devenir l’arbitre du scrutin.
Quel que soit le résultat, les Etats-Unis vont en tout cas rester encore longtemps divisés. Car le trumpisme a infusé non seulement le parti républicain, mais aussi une large part de la société américaine et les institutions du pays avec la nomination de juges ultraconservateurs à la Cour suprême comme dans les cours d’appel. La présidence Trump a polarisé l’opinion à un point tel que la nuance, le sens du compromis et le souci de l’intérêt général qui finissaient par prévaloir après chaque présidentielle, paraissent inatteignables et devraient le rester encore un moment. Avec Trump s’il est réélu assurément, et sans doute aussi sans lui… Autant dire qu’aujourd’hui, l’Amérique est à un tournant : Trump, stop ou encore ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 3 novembre 2020)