Est-ce bien raisonnable de penser à l’élection présidentielle de 2022 dix-sept mois avant le premier tour de scrutin ? En pleine crise sanitaire due à l’épidémie de Covid-19 dont nous affrontons une rude deuxième vague ; aux prémices d’une crise socio-économique majeure, sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui va laisser des centaines d’entreprises et de salariés sur le carreau ; face, enfin, à une menace terroriste qui n’a jamais été aussi forte et difficilement saisissable, peut-on déjà s’engager dans la course à l’Elysée ? Si les Français ont d’autres préoccupations en tête ou affichent déjà clairement leur volonté de s’abstenir, les candidats, déclarés ou putatifs, se bousculent dans chaque camp.
À leur décharge, force est de constater que depuis l’instauration du quinquennat et d’élections législatives organisées dans la foulée de la présidentielle, tout procède et découle de l’élection suprême. Si l’on ajoute à ce calendrier resserré l’accélération de la vie politique sous la pression des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu, la formule de François Mitterrand, "donner du temps au temps", paraît quasiment inapplicable.
À dix-sept mois de l’élection de 2022, et alors que depuis le séisme de 2017, le paysage politique a relativement peu changé, certains rêvent de refaire le coup de maître d’Emmanuel Macron, et décident pour cela de partir très tôt quand d’autres – Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon – trépignent de jouer le "match retour" face à un président de la République qui résiste bien mieux que ses prédécesseurs alors qu’il affronte une multiplicité de crises rarement vue.
En attendant que la campagne prenne véritablement corps, tous les acteurs ont attentivement regardé ce qui s’est passé aux Etats-Unis. Partant du principe que ce qui arrive outre-Atlantique finit souvent par se produire en Europe, les états-majors politiques de tous bords sont allés piocher ces derniers jours des leçons dans l’élection de Joe Biden. L’impact crucial de la gestion de la crise sanitaire sur les votes, la défiance vis-à-vis de la classe politique et des institutions démocratiques, le poids du populisme et de mouvements antisystème, la polarisation extrême des débats minés par des théories du complot et des fake news, le creusement des inégalités mais aussi le regain de participation à un scrutin facilité par le vote par correspondance. La France n’est évidemment pas les Etats-Unis, mais beaucoup des ressorts de l’élection américaine pourraient bien se retrouver sous une forme ou une autre en France en 2022. Réponse dans dix-sept mois…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 15 novembre 2020)