Vous avez "un accent chantant", "rocailleux", "de troisième mi-temps de rugby", "à couper au couteau" ou "incompréhensible", etc. Tous les Français qui parlent avec un accent ont eu à subir un jour ou l’autre ce type de remarques. Certaines partent évidemment d’une bonne intention et sont dites sur le ton du compliment, mais d’autres sont bel et bien des moqueries lancées avec le mépris et la condescendance de ceux qui estiment bien parler le "vrai" français. Et quand ces appréciations barrent la route à un emploi ou imposent à celui qui a un accent de le gommer ou de l’oublier, on est clairement dans le cadre d’une discrimination. "L’une des dernières (micro) agressions racistes socialement admises" selon le député héraultais Christophe Euzet dont la proposition de loi "visant à promouvoir la France des accents" et donc à lutter contre leur discrimination – la glottophobie – est examinée aujourd’hui à l’Assemblée nationale.
D’aucuns s’offusquent que ce texte, profitant d’une niche parlementaire, arrive dans l’hémicycle en pleine épidémie de Covid-19. N’y a-t-il pas plus urgent à discuter ? D’autres estiment qu’avec la nomination à Matignon de Jean Castex, qui ne cache en rien son accent, le sujet est nul et non avenu. D’ailleurs, avant l’ancien maire de Prades, n’y a-t-il pas eu Charles Pasqua, Gaston Deferre ou plus loin Paul Ramadier ? Une loi contre la discrimination à l’accent serait même contre-productive, pire que le mal, s’offusquent certains qui craignent que Nicolas Canteloup ou Laurent Gerra ne puissent librement imiter un Jean Lassalle ou un Eric Ciotti.
Las ! Ceux qui s’agacent de la proposition de loi sont évidemment les partisans d’un statu quo, adeptes de la politique de l’autruche. Car le texte n’empêchera ni les compliments, ni les plaisanteries et encore moins les caricatures. En revanche, il posera des limites et donnera des armes à ceux qui subissent les moqueries comme un véritable harcèlement ou sont empêchés d’accéder à certains emplois. En ce sens, cette proposition de loi rappelle exactement la loi du 6 juin 2000 sur la parité : avant son adoption, rien n’empêchait des femmes d’accéder à des mandats électoraux et à des fonctions électives… mais tout était fait pour leur faire barrage.
Pour faire changer les mentalités et faire progresser la société vers davantage d’égalité en droits, il faut parfois en passer par la loi, qui punit les abus et rappelle à tous les citoyens que, quelles que soient leurs origines ou leur accent, aucun n’est supérieur à l’autre, mais tous sont égaux aux yeux de la République.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 26 novembre 2020)