« Make America normal again. » Rendre l’Amérique normale à nouveau. Tel était le slogan affiché durant la campagne sur les casquettes et les pancartes des partisans de Joe Biden, parodiant là le slogan de 2016 de Donald Trump, « Make America great again ». Une Amérique normale, c’est bien l’ambition que porte Joe Biden, désormais élu 46e président des Etats-Unis, au terme d’un incroyable sprint final qui a donné des sueurs froides au camp démocrate. Une Amérique normale avec un président normal, pourrions-nous ajouter. Car après quatre années de présidence Trump, de bruit et de fureur, de tweets rageurs en majuscules et de décisions politiques erratiques rythmées par les insultes, les fake news et les revirements, l’Amérique va retrouver avec Joe Biden un fonctionnement plus conforme à ce qu’on attend d’elle : le respect de l’Etat de droit, d’abord, et des règles démocratiques posées il y a presque deux siècles et demi par les pères fondateurs des Etats-Unis, le respect des adversaires qui ne sauraient être des ennemis, le respect des partenaires dans le monde et aussi, disons-le, le respect des faits qui ne seront plus « alternatifs » comme les inventait Trump.
La tâche – menée avec Kamala Harris, qui entre dans l’Histoire comme première femme vice-présidente – est aussi simple à écrire que complexe à réaliser car Joe Biden hérite d’un pays plus divisé que jamais, où républicains et démocrates ne semblent d’accord sur rien. Surtout, Joe Biden va devoir composer avec un Sénat à la main des républicains qui pourraient être revanchards et tentés par l’obstruction. Les nominations de ses ministres, la mise en œuvre de son programme minutieusement concocté avec l’aile gauche du parti démocrate seront difficiles et parfois impossibles à mener à terme. Fort de sa très longue expérience de sénateur et de sa connaissance des arcanes de Washington, Joe Biden cherchera le consensus, le rassemblement, comme il l’a déjà promis hier soir – « Je serai le président de tous les Américains » – devenant un président de transition.Le temps d’un unique mandat, peut-être ; le temps de panser un pays déchiré.
Mais après quatre ans de trumpisme, il serait vain de croire, particulièrement pour les Européens dont la majorité affichait une préférence pour Biden, que nous retrouverions l’Amérique amie et protectrice d’Obama et qu’une nouvelle ère s’ouvrirait entre partenaires, d’égal à égal. Le pays a trop changé, et si les Etats-Unis reviendront dans les instances internationales désertées par Trump, ils auront comme toujours leur propre agenda, notamment face à la Chine ; un agenda où le projet d’« autonomie stratégique » de l’Europe pèse peu. Biden défendra bel et bien les intérêts des Etats-Unis. Pendant la campagne, il avait livré sa vision de la politique étrangère dans un article intitulé : « Pourquoi l’Amérique doit diriger à nouveau »… Les Européens – s’ils sont soulagés de voir Biden ouvrir une nouvelle ère – ne doivent pas l’oublier et rester lucides.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 8 novembre 2020)