La semaine qui s’annonce constituera sans doute le tournant du quinquennat d’Emmanuel Macron. Plus encore que la crise des Gilets jaunes qui avait sérieusement bousculé les certitudes libérales du Président et de sa majorité ; plus encore que la réforme des retraites présentée comme la réforme phare de son mandat – celle sur laquelle tous les gouvernements précédents s’étaient cassé les dents et qui semble désormais d’un autre siècle – l’épidémie du Covid-19 apparaît comme un momentum inédit et historique qui a imposé au Président de penser contre lui-même. Emmanuel Macron, Président-réformateur, a d’ailleurs très tôt compris qu’il lui faudrait se muer en Président-protecteur.
En annonçant aux Français le 16 mars dernier le confinement du pays pour endiguer la propagation du coronavirus meurtrier, le chef de l’Etat concédait déjà, très lucidement et de façon prémonitoire, qu’avec la pandémie "beaucoup de certitudes, de convictions, [étaient] balayées, [seraient] remises en cause". En promettant que "le jour d’après" ne serait pas "un retour au jour d’avant" comme cela avait pu être le cas après la crise de 2008, Emmanuel Macron a compris que l’heure était au retour de l’Etat-providence, à une forme de souveraineté industrielle pour une France au sein de l’Europe, et pour tout dire, à une politique plus social-démocrate que sociale-libérale, "quoi qu’il en coûte".
Le plan de déconfinement que va présenter son Premier ministre Edouard Philippe mardi devant l’Assemblée nationale esquissera-t-il les prémices de cette "refondation" sanitaire, économique, sociétale et politique qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux ?
En tout cas, ce plan, dont la construction complexe aura mis à rude épreuve l’appareil d’Etat et les nerfs du gouvernement, aura, au-delà des mesures présentées, deux rôles clés. Le premier sera d’en finir avec les nombreux couacs qui ont émaillé la gestion de la crise par le pouvoir. Sur les masques ou sur les tests, les zigzags et les contorsions de la communication gouvernementale et élyséenne – gênants mais pas étonnants compte tenu de l’incroyable complexité de l’épidémie – doivent cesser pour redonner confiance aux Français et ouvrir une perspective pour les mois qui viennent. L’exécutif l’a bien compris qui a accéléré la présentation de son plan de déconfinement.
Le second rôle de ce plan sera de rappeler une règle d’airain de notre démocratie : le politique doit primer. En créant le conseil scientifique puis le comité d’Analyse, de recherche et d’expertise pour éclairer ses décisions, Emmanuel Macron – à mille lieues d’un Donald Trump ou d’un Jair Bolsonaro – avait expliqué "Un principe nous guide pour définir nos actions : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent." Ces instances n’ont pas manqué de livrer leurs préconisations, en les rendant publiques. Et pourtant Emmanuel Macron a décidé de rouvrir les écoles en dépit des difficultés logistiques et sanitaires que cela supposait.
En refusant ainsi une "République des experts", le Président a pris ses responsabilités et illustré ce que disait Max Weber dans "Le savant et le politique" : le savant se doit d’être neutre quand le politique est, lui, déchiré entre éthique de conviction et de responsabilité...
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 27 avril 2020)