Le travail remarquable que mène depuis plusieurs années l’Observatoire du conspirationnisme, notamment avec la fondation Jean Jaurès, pour analyser décrypter et démonter toutes les théories du complot, prend cette année une tournure particulière. La pandémie mondiale du Covid-19 montre, en effet, combien ce virus, qui frappe le monde entier, s’accompagne aussi du virus de la désinformation, des manipulations qu’elles viennent d’Etats, de hackers mercenaires, de religieux obtus, et de tous ceux qui veulent sans vergogne tirer profit du malheur des uns. Jouant sur la peur légitime des populations, sur la prudence des scientifiques dont les analyses sont quelques fois contradictoires, sur les erreurs, aussi, de certains gouvernements qui font parfois de spectaculaires volte-face dans leur prise de décisions, et bien sûr sur la crédulité des foules, les tenants des complots en tout genre jubilent.
Jusqu’à présent, leurs thèses complotistes étaient restées circonscrites à quelques cercles d’hurluberlus, particulièrement aux Etats-Unis où, au nom du premier amendement de la Constitution qui garantit une absolue liberté d’expression, tout un tas de théories ont pu se développer, sur la Terre plate, les extraterrestres, les attentats du 11-Septembre ou un gouvernement mondial secret. Depuis quelques années, inondant les réseaux sociaux, elles ont trouvé un spectaculaire relais dans les sphères politiques et médiatiques. Des promoteurs du Brexit en 2016 à l’élection de Donald Trump et ses "faits alternatifs" – clairement des mensonges – les théories du complot prolifèrent, inventant un monde de "post-vérité" qui menace les démocraties.
Celles-ci doivent urgemment réagir en mobilisant tous les acteurs du débat public. Les politiques,en premier lieu, doivent restaurer la confiance en étayant leurs décisions par des faits établis et en optant pour une réelle transparence, meilleur moyen de contrer les complotistes. Ils doivent aussi établir la formation et l’éducation des citoyens aux enjeux numériques, dès l’école. Les réseaux sociaux, qui se nourrissent des clashs, doivent enfin prendre la mesure de leur responsabilité dans la diffusion des fake news et mettre en œuvre les moyens de les contrer, en donnant plus de place à des médias sérieux. Enfin, les citoyens ont tous un rôle à jouer en ne relayant pas tout et n’importe quoi et en repensant à ce que disait Blaise Pascal : "La vérité est si obscurcie en ces temps et le mensonge si établi, qu’à moins d’aimer la vérité, on ne saurait la reconnaître".
(Editorial publié dans La Dépêche du Dimanche du 5 avril 2020)