"La survie d’Airbus est en jeu si nous n’agissons pas maintenant". En une phrase, le président-directeur général d’Airbus, Guillaume Faury, a donné le ton dans un courrier adressé vendredi à ses 135 000 salariés, pour les préparer aux mois difficiles que va vivre l’avionneur européen, emporté dans les turbulences de l’épidémie du Covid-19 et qui "perd de l’argent à une vitesse folle". Car contrairement aux crises précédentes qu’il a su surmonter, celle du coronavirus, redoutable, est à triple détente.
Le premier effet de la pandémie, à court terme, est sanitaire. Il a contraint Airbus à bouleverser ses chaînes de montage, ralentir sa production, et mettre en place des mesures de chômage partiel. Le second effet, à moyen terme, va être le choc du Covid-19 sur le transport aérien. En clouant au sol plus de 90 % de la flotte mondiale, le coronavirus a mis dans le rouge les compagnies aériennes ; certaines vont droit vers la faillite, celles qui survivront vont drastiquement revoir à la baisse l’achat de nouveaux appareils, au mieux les reporter, au pire les annuler. Une étude du cabinet Archery Strategy Consulting, publiée le 9 avril, évalue ainsi la baisse de la demande d’avions neufs de – 40 à – 60 %, soit la livraison de 3000 à 5000 avions contre 8 000 prévus… Et le déconfinement très progressif que commencent à mettre en œuvre les pays touchés par l’épidémie ne permettra pas de retrouver avant plusieurs mois voire plusieurs années le niveau de dynamisme du transport aérien d’avant. Enfin, le troisième effet du coronavirus va être à plus long terme : voyagera-t-on autant qu’auparavant dans le monde d’après ? Est-il pertinent de passer des vacances à prix cassés au bout du mode en courant un risque sanitaire ? Et à l’heure du boom de la visioconférence, les voyages d’affaires ont-ils encore tout leur sens ? Des questions qui se poseront aussi avec la pression de la lutte contre le réchauffement climatique, éclipsée par le Covid-19, mais toujours là…
Si Airbus va devoir trouver des réponses à cette crise hors normes – avec un plan structurel de grande ampleur comme le fut Power 8, redoutent déjà les syndicats – c’est aussi tout le tissu industriel de la région qui va être impacté par un terrible effet domino. 160 000 emplois dépendent de l’aéronautique en Occitanie, la majorité en Haute-Garonne (110 000) et dans la métropole toulousaine. Quand Airbus tousse, ce sont bien tous ses sous-traitants qui s’enrhument. Certains sont déjà en grande difficulté et la filière pourrait perdre 80 000 emplois directs et indirects.
Revient alors la question, lancinante, de la mono-industrie dans les mains de laquelle se sont mises Toulouse et la région. A-t-on eu raison de tout miser sur l’aéronautique – qui a fait et fait toujours notre fierté – au risque de voir l’économie s’écrouler en cas de problème ? Une récente note pronostique pour Toulouse un destin à la Détroit, la ville jadis capitale de l’automobile américaine, tombée en faillite et en décrépitude. On évoque la sidérurgie lorraine et les mines du Nord… Les images sont fortes, mais comparaison n’est pas raison, car d’une part la filière aéronautique a des savoir-faire solides et d’autre part la région a des atouts dans l’agriculture et le numérique. En revanche, cette crise donne des arguments aux partisans – longtemps peu écoutés – d’une diversification qu’il reste à inventer urgemment.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 30 avril 2020)