Accéder au contenu principal

D'intérêt général

 

maison

 

« La société politique contemporaine : une machine à désespérer les hommes » déplorait Albert Camus. Et il est vrai que lorsque l’on regarde les débats parlementaires autour du budget, il y a de quoi se désespérer. Entre les stratégies à trois bandes des uns et des autres, les petites mesquineries qui consistent à déposer des centaines d’amendements pour retarder les débats ou empêcher un vote, les oukases des uns pourtant largement sanctionnés lors des législatives de 2024 ou les diktats des autres qui ne disposent d’aucune majorité, les citoyens peuvent légitimement se demander où est passé le sens de l’intérêt général. Pas étonnant que plus de huit Français sur dix estiment que les responsables politiques agissent pour leurs intérêts personnels, selon la dernière enquête « Fractures françaises » d’Ipsos, et qu’à peine 20 % font confiance aux députés ou à l’Assemblée nationale.

Et pourtant, le sens de l’intérêt général existe, traverse les divergences politiques et parvient à arracher des compromis voire des accords. On le voit lorsque le pays est face à des crises graves ; mais on le voit aussi pour le quotidien des Français. À cet égard, le succès du dispositif des Maisons France Services en est un parfait exemple. Prolongeant les Maisons de services au public (MSAP) créées par la loi NOTRe de 2015, le label « France services » est lancé fin 2019 par circulaire, puis consolidé par la loi 3DS avec des exigences en termes d’accessibilité, d’horaires d’ouverture, de qualité d’accueil et de présence de conseillers polyvalents. Le principe est simple : réunir en un seul lieu, à 20 minutes maximum en voiture de son domicile, un accompagnement « de premier niveau » pour les démarches relevant d’au moins 12 grands opérateurs nationaux (CAF, Assurance maladie, retraite, impôts, France Travail, MSA, La Poste, etc.).

Dans les zones rurales où les antennes de ces services ont disparu car trop coûteuses pour les pouvoirs publics, les Maisons France Services apportent une vraie solution. La demande est d’ailleurs là : environ 900 000 à 1,2 million de démarches sont accompagnées chaque mois, soit plus de 10 millions par an au minimum, et le taux de satisfaction atteint 96 % avec la grande majorité des demandes résolues en une seule visite. À l’heure où l’administration multiplie la dématérialisation de ses procédures, les Maison France Services apportent un indispensable lien humain à tous ceux qui sont moins ou pas à l’aise avec les applications ou sites web. Avec 2 800 Maisons et 144 bus itinérants, le dispositif est salué par la Cour des comptes, notamment, qui note que le maillage territorial très dense contribue à réduire le sentiment d’abandon et simplifie le parcours des démarches.

Si les Maisons France Services sont amenées à se développer encore, elles ne sont toutefois pas exemptes de critiques. Le reste à charge est important pour les collectivités, inégal selon les territoires, et avec un financement jugé fragile. Certains dénoncent aussi un « placebo de service public » qui arrive après que des services publics ont été brutalement fermés et qui pourrait accélérer la fermeture des services spécialisés. Des questions de lisibilité sur les missions des Maisons et la précarité des conseillers subsistent également.

Mais à l’heure où certains voudraient utiliser la tronçonneuse sur les services publics, les Maisons France Services, plébiscitées par les Français, montrent au contraire que l’État et les élus locaux, lorsqu’ils travaillent ensemble, peuvent développer des solutions réellement au service de la population et de l’intérêt général.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 29 novembre 2025)

 

Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

La messe est dite ?

    L’entourage de François Bayrou a beau tenter d’expliquer que l’échec du conclave sur les retraites n’est imputable qu’aux seuls partenaires sociaux qui n’ont pas réussi à s’entendre en quatre mois pour « améliorer » la contestée réforme des retraites de 2023, la ficelle est un peu grosse. Car, bien évidemment, cet échec – hélas attendu – est aussi celui du Premier ministre. D’abord parce que c’est lui qui a imaginé et convoqué cette instance inédite de dialogue social et qu’il aurait naturellement revendiqué comme le succès de sa méthode un accord s’il y en avait eu un. Ensuite parce qu’il n’a pas été l’observateur neutre des discussions, qu’il promettait « sans totem ni tabou ». Il a au contraire, plusieurs fois, interféré : dès leur lancement en les corsetant par une lettre de cadrage imposant de ne pas créer de dépenses et d’équilibrer les comptes à l’horizon 2030 ; ensuite par son refus de voir abordé l’âge de départ à 64 ans, point centra...

Principes et réalité

Seize mois après les manifestations historiques des agriculteurs, nées en Occitanie à l’hiver 2024 en dehors des organisations syndicales traditionnelles, voilà la colère paysanne de retour. Ce lundi, à l’appel notamment de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, et après de nombreuses actions ponctuelles ces dernières semaines, les tracteurs seront, en effet, à nouveau dans les rues pour dire l’exaspération des agriculteurs de voir les mesures promises si lentes à se mettre en place et pour rappeler l’urgence à agir aux députés, qui examinent ce lundi à l’Assemblée nationale une proposition de loi clivante lancée par le sénateur LR Laurent Duplomb. Ambitionnant de « lever les contraintes », ce texte, plébiscité par le monde agricole mais qui ulcère les défenseurs de l’environnement et les tenants d’un autre modèle agricole, propose entre autres de faciliter le stockage de l’eau, de simplifier l’extension des élevages, de réintroduire certains pesticides dont un néonicotinoïde qu...