Le procès dit de la "maison de l’horreur" qui s’ouvre aujourd’hui à Auch suscite évidemment l’effroi. L’affaire, révélée par La Dépêche en avril 2022, est hors norme. Il y a trois ans, nous découvrions que dans une vaste bâtisse située près de l’aérodrome de Nogaro, l’impensable s’était produit : un système d’emprise totale dans lequel étaient enfermés quatre femmes et 28 enfants vivant sous l’autorité d’un homme décrit comme violent et manipulateur, utilisant une lecture rigoriste de l’islam comme outil de contrôle.
Les enfants, soumis à des brimades et à la pauvreté affective, ne sortaient presque que pour l’école. L’une des femmes avait dénoncé des faits de viols, violences volontaires et séquestration. L’homme doit répondre de 22 chefs d’accusation dont viols sur mineurs, actes de torture et de barbarie, ainsi que pour violences sur l’ensemble des victimes. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité devant la cour d’assises du Gers, qui va s’efforcer de déterminer l’ampleur et la mécanique de l’emprise qui était à l’œuvre.
Ce procès inédit doit aussi permettre à la société tout entière d’ouvrir les yeux, de réparer d’éventuels dysfonctionnements et de s’armer contre ces dérives qui portent atteinte à la dignité humaine.
L’affaire interroge en effet : comment pendant vingt ans, cet homme a-t-il pu sévir, en Côte-d’Or puis dans le Gers sans être inquiété ? Comment les services sociaux, les personnels de l’Éducation nationale, les agents municipaux, les médecins et finalement tous ceux qui ont vu ou constaté la situation hors normes de ce "clan familial" n’en ont pas suffisamment mesuré le danger ? Certains ont réagi, les mères ont été convoquées par des enseignants, des signalements ont été effectués, à l’initiative de la municipalité de Nogaro notamment, puis par les services sociaux. Mais on voit bien qu’il manque à tous ces acteurs des outils précis et un cadre clair pour agir sans être accusé en retour de discrimination, car il reste parfois encore difficile de distinguer les pratiques religieuses libres et légales de la foi des dérives sectaires qui emportent violences psychologiques et physiques.
Ce constat, la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), le fait chaque fois en remettant son rapport, qui a établi dans sa dernière édition qu’entre 2015 et 2024 le nombre de signalements a doublé, pour atteindre 4 571 l’an passé. Et entre 2022 et 2024, le nombre de signalements aux procureurs a fortement augmenté, signe de cas plus graves. Le rapport s’arrête longuement sur des communautés catholiques nouvelles ou non reconnues par l’Église officielle, ainsi que sur les mouvements traditionalistes. Les cas signalés concernent des abus spirituels et psychologiques, des violences sexuelles, l’isolement social, l’obéissance absolue au dirigeant…
Face à la hausse mais aussi à la diversité des situations, l’État n’est pas resté sans réagir. Les Assises de la lutte contre les dérives sectaires, qui se sont tenues du 9 au 10 mars 2023, ont ainsi permis de tracer les grandes lignes d’une stratégie nationale de lutte (2024-2027). Celle-ci doit permettre de prévenir plus efficacement les risques de dérives sectaires, de mieux accueillir, soutenir et accompagner les victimes, et de renforcer notre arsenal juridique. À condition que les moyens humains et financiers suivent pour mener ces actions indispensables.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du 10 novembre 2025)
