C’était il y a dix ans, c’était hier. Comme pour les attentats contre le World Trade Center à New York le 11 septembre 2001, tous les Français se souviennent de ce qu’ils faisaient dans la soirée du 13 novembre 2015. Déjà éprouvés par l’attaque terroriste contre la rédaction de Charlie Hebdo, celles de l’Hyper Cacher et de Montrouge en janvier, les Français se sont retrouvés précipités face à une inimaginable nuit d’horreur, celle des pires attentats que le pays ait jamais connus.
Chacun garde en mémoire des images chocs, le ballet d’ambulances devant les terrasses parisiennes aux noms joyeux – Le Carillon, Le Petit Cambodge, La Belle équipe… – qui se retrouvaient ensanglantées et endeuillées ; les dizaines de blessés hagards et en pleurs, enveloppés dans leurs couvertures de survie dorées ; la mobilisation policière et militaire ; les mines graves de François Hollande, Anne Hidalgo, Manuel Valls ou François Molins, ce procureur-courage dont le visage et la voix rassureront plus tard le pays à de nombreuses reprises. Et l’interminable angoisse devant la prise d’otages au Bataclan, puis son macabre décompte de victimes…
Cette nuit sans fin nous a marqués à vie. Après avoir visé la liberté d’expression et la liberté de croyance, l’hydre terroriste islamiste frappait la France au cœur, dans ce qu’elle a de plus précieux : son mode de vie, celui d’un pays libre, laïque et démocratique, celui dans lequel s’épanouit alors une jeunesse pleine de promesses. Face à ces attaques sans précédents, les Français ont fait corps en un de ces moments d’unité nationale que le quotidien éloigne mais que la tragédie fait survenir naturellement, instinctivement. Au côté des familles des victimes dans la cour des invalides, dans la rue lors d’hommages spontanés ou devant leur télévision, les Français montraient au monde, une nouvelle fois, l’image d’un peuple debout.
Au drame a succédé la traque des terroristes, la longue enquête et la nécessité de renforcer nos dispositifs de lutte contre le terrorisme. Exercice délicat où l’impératif de respecter l’État de droit et les libertés individuelles se heurte à l’urgence d’être le plus efficace possible pour détecter, surveiller et empêcher de nouvelles attaques. L’arsenal juridique, les moyens policiers et technologiques ont été rehaussés et, depuis 2015, des dizaines d’attentats ont pu être évitées. Malheureusement pas tous car le terrorisme a lui aussi évolué, passant de vastes opérations planifiées depuis l’étranger par des organisations structurées, à des actes d’individus isolés, parfois inconnus des services et souvent radicalisés en ligne.
Dix ans plus tard, tout a changé et rien n’a changé. La menace plane toujours mais se heurte à l’efficacité de nos services de police et de renseignement et à la résilience de la nation et des familles de victimes, qui toisent quotidiennement leur douleur et nous émeuvent par leur immense courage. Beaucoup d’entre elles ont assisté au procès des attentats, en septembre 2021. Neuf mois d’éprouvantes audiences face à Salah Abdselam, l’unique et mutique survivant du commando du 13-Novembre, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible. Hier, celui-ci a indiqué vouloir rencontrer les victimes dans le cadre d’un processus de justice réparatrice. Des proches de victimes y sont prêts, actant là finalement la défaite des terroristes, qui n’ont pas réussi à avoir leur haine, encore moins à briser le pays.
Dans un monde où les ingénieurs du chaos s’échinent à faire prospérer la haine et l’obscurantisme, les victimes du 13-Novembre, sans rien oublier de ce qui s’est passé, sont bien les seules à pouvoir pardonner l’impardonnable et proclamer, nous avec elles, comme le disait Robert Badinter, que « la vie est plus forte que la mort. »
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du 12 novembre 2025)
