L’hiver approche et les Français s’inquiètent d’une hausse des prix de l’électricité. En France, la fin du dispositif de l’ARENH — qui garantissait un tarif régulé pour les fournisseurs alternatifs — et la situation géopolitique internationale laissent planer une ombre sur les factures des ménages et des entreprises. Mais derrière cette préoccupation à court terme, une question plus vaste s’impose : notre système électrique, conçu pour un monde d’usages stables peut-il encore suivre le rythme d’une économie numérique, décarbonée et désormais… dopée à l’intelligence artificielle ?
Le réseau français, longtemps modèle de fiabilité, doit aujourd’hui affronter une double tension. D’un côté, la montée en puissance des énergies renouvelables rend la production plus intermittente ; de l’autre, la demande s’emballe tirée par de nouveaux usages (voitures électriques, numériques). Les appels à la modernisation deviennent dès lors pressants : stockage massif, pilotage intelligent, protection contre les cyberattaques, renouvellement des infrastructures vieillissantes. Sans cela, l’équilibre national pourrait devenir précaire dans un système désormais très finement interconnecté avec nos voisins européens.
Car l’Europe entière affronte la même équation. Le continent doit investir entre 2 000 et 3 000 milliards d’euros d’ici 2050 pour moderniser ses réseaux, renforcer la résilience face aux aléas climatiques et accompagner l’électrification généralisée des transports, du chauffage ou de l’industrie. À ces défis classiques s’ajoutent donc aussi les besoins énergétiques de l’intelligence artificielle.
En 2022, les centres de données, la cryptomonnaie et l’IA représentaient déjà près de 2 % de la consommation électrique mondiale — environ 460 TWh. D’ici 2026, cette consommation pourrait grimper de 160 à 590 TWh supplémentaires, soit l’équivalent de celle de l’Allemagne. L’IA générative, elle, se distingue par une voracité inédite : une requête sur ChatGPT consomme jusqu’à 10 fois plus d’électricité qu’une recherche Google classique. Certains serveurs d’IA pourraient ainsi absorber à eux seuls 85 à 134 TWh par an d’ici 2027. À Dublin, Londres ou Francfort, les gestionnaires de réseau voient déjà les centres de données saturer les capacités locales, contraignant parfois à retarder de nouveaux raccordements industriels.
Cette explosion numérique pose dès lors une question politique majeure : comment concilier transition écologique et révolution technologique ? La décarbonation mondiale ne peut ignorer le coût énergétique de l’intelligence artificielle, tout comme l’IA ne peut s’émanciper d’un réseau stable et propre pour fonctionner.
La COP30, prévue au Brésil ce mois-ci, aura à trancher ce dilemme. Tripler la capacité mondiale en énergies renouvelables, doubler l’efficacité énergétique et moderniser les réseaux figurent parmi les engagements qui devront désormais intégrer la réalité d’un monde où chaque innovation numérique est aussi une charge électrique. Dans ce nouveau siècle, la souveraineté énergétique se jouera ainsi autant sur les lignes à haute tension que dans les fermes de serveurs.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 3 novembre 2025)
