Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier". Ainsi parlait Emmanuel Macron le 13 avril 2020 dans l’une de ses adresses aux Français, alors qu’ils étaient confinés depuis presque un mois. Et effectivement le président de la République, comme la plupart des dirigeants du monde en général et de l’Union européenne en particulier, ont bousculé leurs certitudes pour faire face aux conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19, dont on s’accorde aujourd’hui à dire qu’elles sont aussi puissantes que celles des six années de la Seconde Guerre mondiale.
Qui aurait imaginé, en effet, voir des pays libéraux ouvrir à ce point les vannes des aides publiques et lancer des plans de relance massifs comme celui de 1900 milliards de dollars que le nouveau président américain Joe Biden est parvenu à faire voter et qu’il veut encore augmenter avec 3 000 nouveaux milliards ?
Qui aurait imaginé voir les Etats membres de l’Union européenne, divisés entre les pays du Sud et ceux du Nord – les frugaux – mettre de côté les implacables critères de convergence de Maastricht, l’interdiction d’avoir un déficit public annuel supérieur à 3 % du PIB et celle d’avoir une dette publique supérieure à 60 % du PIB ? Qui aurait pensé voir un jour la chancelière allemande Angela Merkel délaisser son intransigeante orthodoxie budgétaire et se rallier à la mutualisation des dettes avec les "coronabonds" ?
Et en France, qui aurait pensé qu’Emmanuel Macron mettrait un coup d’arrêt aux réformes sociales-libérales menées tambour battant depuis le début du quinquennat pour embrasser sans ambages un "quoi qu’il en coûte" très social-démocrate, dont chacun mesure combien il a joué – et joue encore – le rôle d’amortisseur social face à cette épidémie qui n’en finit pas ?
Incontestablement, l’épidémie a bousculé les dogmes, les certitudes et les priorités et elle pourrait faire émerger, sinon une nouvelle économie, du moins une nouvelle ère technologique et industrielle, s’appuyant sur la numérisation, l’intelligence artificielle, l’économie verte et celle de la donnée…
Mais avant cela il va falloir régler le sort de cette colossale corona-dette… ce caillou dans la chaussure qui commence à échauffer les esprits : faut-il la rembourser dès que possible au risque de ruiner la possible croissance prévue à la sortie de l’épidémie – comme cela s’était produit au sortir de la crise financière de 2008 – ou bien ne pas la rembourser en la transformant en dette éternelle ou en la cantonnant, pour permettre le redécollage économique ? La question est aussi complexe que les clivages sont vifs et les raccourcis semblent simples. En France, où la dette a explosé de près de 100 à 120 % du PIB, le sujet, d’économique, est désormais éminemment politique à un an de la présidentielle, avec en corollaire l’épineuse question de savoir qui pourrait ou qui devrait payer la dette, et si un tel remboursement devrait passer par de nouveaux impôts ?
Pour Emmanuel Macron, qui entend bien conserver sa crédibilité économique, la question est d’autant plus importante que la France va prendre la présidence de l’Union européenne en janvier 2022. L’occasion peut-être d’impulser une nouvelle voie, de nouvelles règles pour faire face aux défis de l’après-Covid et à la nouvelle donne internationale.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 26 mars 2021)