En se retrouvant hier à Montauban, Emmanuel Macron et Pedro Sanchez n’ont pas présidé un banal sommet bilatéral – le 26e – comme il en existe beaucoup d’autres. Au contraire ils ont magnifié les liens qui existent depuis longtemps entre la France et l’Espagne et qui font des deux pays des partenaires économiques, culturels et historiques. Car si l’on parle souvent – à raison – du couple franco-allemand pour souligner sa solidité et son rôle majeur dans la construction européenne au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le couple franco-espagnol incarne, lui aussi, une certaine vision de l’Europe forgée dans l’épreuve de la guerre civile espagnole. C’est peu dire que l’attachement à cette vision de l’Europe, bâtie sur les valeurs de progrès, de solidarité, les valeurs humanistes, républicaines et laïques est entrée en résonance de part et d’autres des Pyrénées lorsque notre région a accueilli les milliers d’Espagnols fuyant le régime franquiste ; des valeurs parfois hélas trahies, personne n’oublie le camp de Rivesaltes… Toulouse, capitale de l’exil républicain espagnol, fut l’épicentre de cette Retirada dont le souvenir vit toujours dans le cœur des exilés, de leurs amis et de leurs descendants.
C’est vers eux, pour eux, que Pedro Sanchez et Emmanuel Macron ont signé hier un traité inédit et historique qui va permettre à quelques 190 000 Espagnols vivant en France et près de 150 000 Français vivant en Espagne d’avoir la double nationalité, symbole d’une double identité qui est évidemment un enrichissement pour nos deux pays et la dépositaire d’un héritage en partage.
Le président de la République française et le président du gouvernement espagnol ont posé cet acte d’amitié fort avant de rendre hommage à Manuel Azaña, le dernier président de la République espagnole, qui mourut à Montauban le 3 mars 1939 au terme d’un exil épuisant. À l’heure où l’Espagne, sous le mandat de Pedro Sanchez, a entamé sans doute la dernière étape d’un long et douloureux travail de mémoire sur le franquisme – dont l’instigateur, Franco, n’est plus enterré dans son mausolée à Valle de los Caídos – l’hommage à Manuel Azaña a revêtu hier une force particulière.
"C’est en Espagne que ma génération a appris que l’on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l’âme et que, parfois, le courage n’obtient pas de récompense", disait Albert Camus. De son exil à Collioure, Antonio Machado laissait pourtant percer l’espoir lorsqu’il assurait que "pour les stratèges, pour les politiciens, pour les historiens tout est clair : nous avons perdu la guerre. Mais humainement, je n’en suis pas sûr… peut-être l’avons-nous gagné." Hier à Montauban, Pedro Sanchez et Emmanuel Macron ont montré que tel était le cas et que la défaite de courageux idéaux peut effectivement semer des graines de future victoire.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 16 mars 2021)