Ce n’est bien sûr pas la première fois que surgit dans le débat public l’idée d’un gouvernement d’union nationale. Et la crise aussi historique qu’inédite du coronavirus, qui met la classe politique face à ses responsabilités pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, est sans aucun doute un facteur clé dans la réapparition de cette demande qui séduit toujours autant une large majorité de Français, 70 % selon le dernier sondage Ifop. Dans l’inconscient collectif de la nation figure toujours, en effet, le souvenir du gouvernement d’union nationale qui sortit de la seconde Guerre mondiale. Autour du Général de Gaulle, droite et gauche jusqu’aux communistes avaient déployé le programme du Conseil national de la Résistance dont les réalisations - Sécurité sociale en tête - marquent encore les Français dans leur vie la plus quotidienne.
Emmanuel Macron, qui avait appelé dès le 12 mars dans sa première allocution solennelle aux Français à une « France unie », avait aussi expliqué que « les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture ». Le 16 mars, le Président ajoutait que « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant », pour finir le 13 avril par expliquer qu’« avec toutes les composantes de notre Nation, [il tacherait] de dessiner ce chemin qui rend possible. » Et de conclure par un « nous retrouverons les Jours heureux » en référence directe à l’intitulé du programme du Conseil national de la Résistance…
Mais pour Emmanuel Macron, il y a loin de la coupe aux lèvres et l’idée d’un gouvernement d’union nationale - si tant est qu’elle soit effectivement la sienne - semble chimérique et, si elle se réalisait, dangereuse.
Chimérique, parce qu’à deux ans de l’élection présidentielle, les oppositions n’entendent pas se faire phagocyter par une solidarité gouvernementale à laquelle elles seraient tenues et qui, de fait, ouvrirait un boulevard à Emmanuel Macron pour 2022. Par ailleurs, au contraire de l’Allemagne ou des démocraties scandinaves, la France n’a pas la culture du compromis entre partis qui permet l’émergence de grandes coalitions de gouvernement autour d’un programme commun minimal ; et Emmanuel Macron n’a pas la légitimité fédératrice du Général de Gaulle. Enfin, la République en Marche, aujourd’hui majorité présidentielle, s’est bâtie sur le dépassement du clivage droite gauche. Expliquer aujourd’hui qu’il faudrait un gouvernement d’union reviendrait à dire que le parti présidentiel n’a pas joué son rôle de creuset.
Dangereuse ensuite. L’idée de créer un gouvernement d’union nationale avec tous les partis à l’exception du Rassemblement national placerait de fait ce dernier en position d’unique opposant et donc potentiellement d’unique alternative ; et abaisserait le débat démocratique.
Dès lors, s’il est quasiment acquis que la seconde partie du quinquennat, celle du monde d’après l’épidémie, se fera avec un nouveau gouvernement, il s’agira plus sûrement d’un gouvernement de large ouverture que d’un gouvernement d’union nationale.
(Commentaire publié dans La Dépêche du Midi du mardi 5 mai 2020)