Accéder au contenu principal

L’enfer de Matignon

matignon


Tout remonte-t-il à Matignon ? "Non, seulement les emmerdes", avait répondu un rien désabusé Édouard Philippe, ce qui lui avait valu de décrocher le Grand Prix de l’humour politique il y a tout juste un an. Depuis, les "emmerdes" – qui, comme chacun sait, "volent en escadrille" selon la formule de Jacques Chirac – se sont accumulées pour le Premier ministre. Après le mouvement des Gilets jaunes et la contestation de la réforme des retraites, le locataire de Matignon fait face à une crise autrement plus corsée : celle du coronavirus. Rarement un chef de gouvernement aura eu à gérer un dossier aussi complexe et tentaculaire, dont les conséquences à venir sur la vie du pays – sanitaires, économiques, sociales, politiques, sociétales… – sans doute encore mal estimées, vont être considérables. Rarement aussi un Premier ministre ne se sera senti aussi seul et sans doute sur la sellette…

Au contraire de nombre de ses prédécesseurs qui ont souvent été à la tête d’une écurie à visée élyséenne ou à tout le moins d’un puissant cercle de fidèles dans leur camp, Edouard Philipppe, ce transfuge de la droite en Macronie, est resté un solitaire, sérieux voire austère, dans la lignée de son mentor Alain Juppé. À la tête d’un gouvernement d’experts dépourvu de poids lourds politiques, il est apparu en 2017 comme le bras droit idéal d’Emmanuel Macron, au grand dam de l’aile gauche de la République en Marche. Quasi inconnu du grand public lorsqu’il fut choisi, Edouard Philippe s’est coulé dans le poste, non sans bonheur d’ailleurs. Mais c’était avant de connaître ce que ses prédécesseurs appellent l’enfer de Matignon...

Depuis le début de l’épidémie, Edouard Philippe doit corriger les gaffes de communication à répétition de nombre ses ministres et subir l’omniprésence du président de la République qui lui laisse de moins en moins de marges de manœuvre. L’intervention d’Emmanuel Macron lundi, à peine quelques minutes après la présentation du plan de déconfinement par Edouard Philippe au Sénat, comme s’il s’agissait de corriger un simple "collaborateur", n’aura échappé à personne. Cette petite humiliation sur l’air du "je décide, il exécute" était sans doute aussi cruelle que dispensable. Mais ainsi va la politique…

L’idylle politique entre le Président et le Premier ministre a fini par s’assombrir et la feuille de papier à cigarette qui, assuraient leurs entourages, ne pouvait séparer les deux hommes, a fini par s’épaissir au point que, désormais, la question de l’avenir d’Edouard Philippe à Matignon se pose.

Officiellement tout va bien et la question d’un changement gouvernemental est incongrue assure-t-on avec force à Matignon comme à l’Elysée. Et pourtant, comme le disait François Mitterrand, "poser une question qui ne se pose pas est la plus sûre façon de prouver qu’elle se pose"… On dira qu’Edouard Philippe subit là la simple logique des institutions de la Ve République qui veut que, quels que soient les résultats obtenus, le Premier ministre soit le fusible du Président. Comme ses prédécesseurs mais sans doute plus qu’eux. Car pour esquisser le monde d’après, aux antipodes politiques du "nouveau monde" social-libéral d’avant, Emmanuel Macron n’aura d’autres choix que de se séparer de son Premier ministre. À moins que…

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du 6 mai 2020)

Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

La messe est dite ?

    L’entourage de François Bayrou a beau tenter d’expliquer que l’échec du conclave sur les retraites n’est imputable qu’aux seuls partenaires sociaux qui n’ont pas réussi à s’entendre en quatre mois pour « améliorer » la contestée réforme des retraites de 2023, la ficelle est un peu grosse. Car, bien évidemment, cet échec – hélas attendu – est aussi celui du Premier ministre. D’abord parce que c’est lui qui a imaginé et convoqué cette instance inédite de dialogue social et qu’il aurait naturellement revendiqué comme le succès de sa méthode un accord s’il y en avait eu un. Ensuite parce qu’il n’a pas été l’observateur neutre des discussions, qu’il promettait « sans totem ni tabou ». Il a au contraire, plusieurs fois, interféré : dès leur lancement en les corsetant par une lettre de cadrage imposant de ne pas créer de dépenses et d’équilibrer les comptes à l’horizon 2030 ; ensuite par son refus de voir abordé l’âge de départ à 64 ans, point centra...

Urgence démographique

  Présentées dans la torpeur de l’été, les statistiques démographiques de l’Insee devraient pourtant tous nous inquiéter et nous réveiller. Avec une baisse de 2,2 % du nombre quotidien de naissances moyen entre le premier semestre 2024 et celui de 2025, la France devrait atteindre une nouvelle fois son plus bas niveau depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et cela pour la quatrième année consécutive, sans que l’on perçoive la possibilité d’un retournement prochain de situation. Dans le même temps, en cumul de janvier à juin, le nombre de décès quotidien moyen est plus élevé en 2025 qu’il ne l’était un an auparavant : + 2,5 %. Implacable logique d’un solde naturel qui montre d’un côté une France qui ne fait pas assez d’enfants, de l’autre une France dont la population vieillit à grande vitesse. Au 1er janvier 2025, 21,8 % des habitants avaient au moins 65 ans, contre 16,3 % en 2005 ; les personnes âgées d’au moins 75 ans représentent désormais 10,7 % de la population, contre 8...