Si l’affaire Nestlé Waters n’occupe pas plus intensément le devant de la scène, c’est sans doute parce qu’aucune victime ne s’est – à ce jour – manifestée. Une chance, si l’on peut dire, car ce dossier trouble, qui éclabousse désormais jusqu’à l’Elysée, a tout de l’affaire d’État, à la fois scandale sanitaire et scandale politique.
Scandale sanitaire d’abord. Le géant suisse de l’eau en bouteille a beau se défendre et marteler que la sécurité alimentaire de ses produits « n’a jamais été en jeu », que la sécurité sanitaire des consommateurs « a toujours été assurée » et que « la microfiltration est largement utilisée dans toute l’industrie », il n’en reste pas moins que la multinationale a enfreint les règles en faisant subir des traitements illégaux à plusieurs de ses eaux comme Vittel, Contrex, Hépar et Perrier. Il y a bien tromperie. Par ailleurs, Le Monde et Radio France ont révélé une note du ministère de la Santé très explicite sur les « manquements de Nestlé Waters aux exigences du code de la santé publique ».
La note stipule que le niveau de filtration utilisé n’était pas autorisé au niveau européen et qu’il existait des « risques sanitaires liés à la présence de virus entériques d’origine hydrique (voire d’autres micro-organismes pathogènes). » Les autorités sanitaires, le directeur général de la santé Jérôme Salomon, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), ou l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), ont toutes recommandé à leur ministère de tutelle, à un moment ou un autre, que « compte tenu des enjeux sanitaires et réglementaires » il fallait « suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau ». Ce qui n’a pas été fait…
Et c’est là qu’intervient le scandale politique puisque l’exécutif n’a pas suivi les recommandations de son administration mais, visiblement sensible à un intense lobbying du géant suisse, a préféré accorder à ce dernier des dérogations pour continuer à frauder et potentiellement mettre en danger la santé des consommateurs. Il appartiendra à la commission d’enquête parlementaire de faire toute la lumière pour savoir pourquoi une telle décision a pu être prise et quelle « sorte de chantage », pour reprendre l’expression de Jérôme Salomon, Nestlé Waters aurait bien pu utiliser pour emporter une décision favorable à ses seuls intérêts.
Le travail de la commission est d’autant plus important que tous les acteurs politiques de l’affaire se défaussent aujourd’hui les uns sur les autres jusqu’au chef de l’État. Si l’on peut admettre qu’Emmanuel Macron, pourtant peu réputé pour déléguer, n’a peut-être pas supervisé le dossier, quid des autres ? Notamment son bras droit Alexis Kohler et des conseillers de l’Elysée qui ont rencontré Nestlé Waters visiblement en catimini, puisque la multinationale n’a pas déclaré ces rencontres à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique…
Au final, cette affaire laisse un détestable arrière-goût pour les Français : celui que l’on ressent lorsque l’intérêt général s’efface devant des intérêts particuliers ; celui où le fraudeur puissant échappe aux sanctions prévues par la loi qui frapperaient normalement n’importe quel citoyen dans la même situation ; celui, enfin, où la santé, assortie du principe de précaution, ne prime pas sur le profit.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 8 février 2025)