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Du trou au gouffre

docteur


Voilà un anniversaire que personne n’a célébré et pour cause. Le « trou de la Sécu », en tout cas son expression notamment employée par l’ancien Premier ministre Alain Juppé, a déjà trente ans d’existence et pourrait bien faire son grand retour dans le débat public. On est bien loin des perspectives heureuses qu’annonçait en 2018 la ministre de la Santé de l’époque.

Après des années de déficit chronique, la Sécurité sociale remontait alors lentement la pente depuis son abyssal déficit de 35 milliards d’euros en 2010 et Agnès Buzyn espérait même pour 2019 un excédent de 600 millions d’euros. On retrouvait alors le principe érigé à la création de la Sécu en 1945 de comptes parfaitement équilibrés. Las ! La crise des Gilets jaunes de 2018-2019 a brisé la trajectoire vertueuse. Pour calmer cette grogne sociale à l’ampleur inédite et répondre à ses nombreuses revendications, l’exécutif avait mis la main à la poche avec des mesures d’urgences qui ont coûté 2,7 milliards d’euros à la Sécurité sociale. L’année suivante, c’est la crise sanitaire du Covid qui percutait de plein fouet les comptes de la Sécu. Aux dépenses du « quoi qu’il en coûte » pour faire face à la pandémie se sont ajoutées celles promises par le Ségur de la Santé pour revaloriser, entre autres, la rémunération des soignants… En 2020, les comptes de la Sécurité sociale affichaient ainsi un colossal déficit de 39,7 milliards d’euros.

Depuis, les comptes ont bien tenté de sortir du « trou » mais en 2024, dans un contexte de dérapage budgétaire des comptes publics, la courbe a à nouveau piqué du nez, passant de 10,8 à 18,2 milliards d’euros de déficit. Après la dissolution, Michel Barnier a bien tenté d’introduire des mesures d’économies pour quelque 900 millions d’euros, notamment sur le reste à charge pour les patients sur les médicaments, mais c’est sur le budget de la Sécurité sociale que son gouvernement a été censuré. François Bayrou a repris le travail d’écriture mais au final le déficit de 2025 va encore grossir à 22,1 milliards, 4 de plus que l’année précédente alors qu’il était prévu à 10,5.

En cause, les concessions faites par le gouvernement Bayrou aux parlementaires, et notamment aux socialistes, pour éviter la censure. L’enveloppe pour les hôpitaux a été rehaussée d’un milliard d’euros, le fonds d’urgence pour les Ehpad est passé de 100 à 300 millions d’euros. Autant de dépenses supplémentaires – et légitimes – que n’arrivent plus à compenser les dispositifs mis en place et notamment la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), censée éponger le trou de la Sécu depuis 1996 et financée en partie par la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) prélevée sur les salaires.

Pour éviter que le trou ne devienne un gouffre, il va falloir trouver de nouvelles solutions de financements. Il y a urgence. Les dépenses de santé représentent 15 des 22,1 milliards d’euros de déficit et cela devrait continuer compte tenu de la démographie française. Au 1er janvier dernier, 21,8 % des Français avaient au moins 65 ans, contre 16,3 % en 2005 et les personnes âgées d’au moins 75 ans représentent désormais 10,7 % de la population, contre 8 % en 2005.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 25 février 2025)

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