Une grenade lancée dans un bar à Grenoble qui fait 15 blessés, un homme abattu à l’arme lourde sur un parking de Colomiers. Deux drames concomitants qui, vraisemblablement, viennent s’ajouter à l’insupportable série d’homicides ou de tentatives d’homicides et à la longue liste de blessés du trafic de stupéfiants en France.
Deux drames dont les modalités illustrent aussi combien le trafic a désormais sombré dans une inquiétante ultraviolence. En reprenant à son compte une le terme de « mexicanisation » du narcotrafic en France, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a voulu marquer les esprits, quitte à verser dans l’exagération. Au Mexique, en effet, les cartels sont le cinquième employeur du pays et, depuis 2006, sont responsables de 450 000 morts et plus de 100 000 disparus liés au trafic de drogue. En France en 2024, on déplorait 110 morts et 341 blessés, ce qui est évidemment déjà trop.
La France n’est donc pas le Mexique. Mais le ministre LR, tenant d’une ligne régalienne dure, veut afficher sa volonté de se hisser à la hauteur d’un problème majeur parfaitement dépeint par le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France, rédigé par Jérôme Durain (PS) et Etienne Blanc (LR). Publié le 14 mai dernier, ce document expliquait comment le narcotrafic a gagné progressivement les villes moyennes, voire petites, ainsi que les zones rurales ; combien, aussi, les services de lutte sont sous-dotés face à un trafic mondialisé.
Estimant que la France est « submergée par le narcotrafic », les deux sénateurs ont émis des recommandations largement reprises dans une proposition de loi adoptée au Sénat. Création d’un nouveau parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), fermeture des commerces qui blanchissent l’argent de la drogue, gel des avoirs criminels facilité, techniques d’enquête et de répression renforcées, révision du régime des « repentis », etc.
Autant d’outils nécessaires pour contrecarrer un trafic de stupéfiants qui a profondément changé. Car outre l’ultraviolence qui s’est installée entre bandes rivales – on a vu la guerre entre deux groupes criminels rivaux à Marseille, DZ Mafia et Yoda – la nature des drogues et la façon de se les procurer n’a plus rien à voir avec ce qui se passait il y a quelques années. La cocaïne ou les drogues de synthèse voient leur consommation exploser dans tous les milieux et il semble n’avoir jamais été aussi facile de s’en procurer, directement depuis son smartphone.
Ainsi, outre le trafic, Bruno Retailleau veut s’attaquer aux consommateurs de drogue avec une campagne choc – payée par les sommes confisquées aux trafiquants par les tribunaux – pour les sensibiliser. « Chaque jour, des personnes payent le prix de la drogue que vous achetez », proclame la campagne qui veut provoquer une prise de conscience.
Le trafic, les consommateurs : il ne reste plus qu’à cibler l’autre bout de la chaîne, le terrain sur lequel prospèrent les trafics. Ce qui est peut-être le plus difficile. Il faut, là aussi, briser l’engrenage pour offrir des perspectives économiques et socio-culturelles aux habitants de ces quartiers défavorisés et notamment aux jeunes pour qu’ils ne soient pas happés par les caïds. En 2018, Jean-Louis Borloo avait remis un solide rapport sur les banlieues qui voulait en finir avec les mesures au coup par coup aussi coûteuses que vaines. Le rapport a été enterré. Il était pourtant l’autre versant de la lutte contre le narcotrafic. Un élément clé pour enfin briser la spirale de la drogue.