Fallait-il oui ou non réunir une partie seulement des pays européens parmi ceux qui sont les plus en soutien de l’Ukraine à l’heure où s’engagent des négociations exclusives entre Américains et Russes pour mettre fin au conflit ; et ainsi prendre le risque d’étaler les divergences des Européens ? Emmanuel Macron a choisi de répondre oui en organisant lundi à l’Elysée un mini-sommet entre sept pays de l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Commission européenne, le Conseil européen et l’Otan.
Au final peu importe qu’il n’y ait pas eu de déclaration commune forte et unanime et que, sur l’envoi de troupes d’interposition pour maintenir la paix qui serait négociée, des divergences sont effectivement apparues. Face à la spectaculaire décision de Donald Trump de discuter d’homme à homme avec Vladimir Poutine de l’avenir de l’Ukraine sans les Ukrainiens et sans les Européens ; face, aussi, au violent discours du vice-président américain JD Vance à la Conférence sur la sécurité de Munich où il a fait état d’une supposée débâcle européenne en matière de stratégie et de valeurs, il était urgent de réagir, ne serait-ce que pour démontrer que l’Europe existe.
Emmanuel Macron avait d’autant plus de raisons de le faire qu’il plaide avec constance depuis 2017 pour une autonomie stratégique européenne pour la Défense – qu’avait aussi appelée de ses vœux Jacques Chirac – mais aussi pour la technologie ou l’énergie. On peut toujours déplorer que l’Europe n’ait pas mesuré à temps combien le monde a changé ces dernières années, même avant la guerre en Ukraine, combien la nouvelle géopolitique a modifié les équilibres nés après 1945, entre montée en puissance de la Chine, émergence du Sud Global et percée des populismes qui minent ses démocraties libérales, et combien les États-Unis, bien avant Trump, se sont détournés de l’Europe pour faire de l’Asie du sud-est et de la Chine leur priorité stratégique et militaire. L’Europe s’est comme assoupie sous le parapluie protecteur américain pensant qu’il serait aussi éternel que la paix sur le Vieux continent. Cela n’a pas été le cas et le réveil est d’autant plus brutal.
Mais il n’est peut-être pas trop tard. L’électrochoc de la crise ukrainienne pourrait enfin pousser les Européens à reprendre leur destin en main en faisant des choix audacieux sur la Défense avec des investissements massifs mais aussi dans bien d’autres domaines, industriels, technologiques, scientifiques, sanitaires. Réformer les règles anachroniques de Maastricht au besoin, lever les freins à l’intégration de plusieurs de ses marchés, permettre à plusieurs pays d’avancer sans être entravés par la règle de l’unanimité, etc. A la rigidité devrait se substituer de l’agilité.
« Le temps des menaces stratégiques et des choix historiques est revenu. Cela doit conduire à réactualiser une partie des débats domestiques que nous avons », estime Emmanuel Macron dans l’entretien qu’il a accordé hier à la presse quotidienne régionale, dont La Dépêche du Midi.
Car si les enjeux sont européens, les débats sont aussi nationaux. Depuis la dissolution ratée, les débats politiques en France sont accaparés par les questions budgétaires au détriment de tous les autres sujets quand ils ne sombrent pas dans de médiocres guerres picrocholines en vue de 2027. Emmanuel Macron y a bien sûr sa part de responsabilité, mais sa décision de réunir les partis et groupes parlementaires sur l’Ukraine peut être l’occasion pour tous d’être enfin à la hauteur.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 19 février 2025)