En survivant aux motions de censure déposées en réponse aux 49-3 utilisés pour faire adopter sans vote les textes budgétaires de 2025, François Bayrou peut estimer avoir franchi « l’Himalaya » du Budget pour reprendre son expression. Mais le Premier ministre, qui rêve de durer à Matignon, va devoir franchir encore bien d’autres sommets périlleux où dessiner un chemin de crête paraît aussi incertain. Le prochain Everest du Premier de cordée du gouvernement s’annonce même très – trop ? – abrupt : la réforme des retraites. Cette réforme maudite qui, depuis 2017, tel le sparadrap du capitaine Haddock, n’en finit pas d’occuper le débat public… au détriment de tant d’autres sujets capitaux pour l’avenir du pays.
L’adoption de la réforme des retraites au forceps en 2023 par 49-3 à l’Assemblée nationale, sans véritable débat et contre l’avis des Français et des syndicats, a participé sans doute à la défaite du camp présidentiel lors des législatives anticipées. D’autant que les oppositions – Nouveau Front populaire en tête – avaient fait de son abrogation un objectif. Après l’éphémère gouvernement Barnier, la nomination de François Bayrou à Matignon laissait espérer une évolution.
Le centriste n’avait-il pas admis que « rien n’a été clairement expliqué » avec la réforme de 2023 ? Las ! Une fois à Matignon, François Bayrou n’a pas voulu s’affranchir des Macronistes qui ont fait de la réforme un dogme, tandis que les LR en faisaient une ligne rouge de leur soutien. Si François Bayrou a refusé à la gauche le gel de la réforme, il s’est dit prêt à « trouver des compromis » avec les partenaires sociaux, rappelant au passage qu’il était pour la retraite à points. L’idée d’un conclave ayant fait long feu, nous voilà avec un cycle de réunions qui va prochainement s’ouvrir pour trois mois. À l’issue, les améliorations ainsi négociées – un accord global semble illusoire – seront soumises au Parlement qui pourra enfin s’exprimer sur le sujet.
Encore faut-il que les acteurs du dossier discutent sur des bases admises par tous. Et c’est là que – déjà ! – le bât blesse… Personne ne semble s’accorder sur l’ampleur réelle du déficit des retraites. En fonction des critères retenus, on passe de 6,1 milliards d’euros en 2024, et jusqu’à 0,4 % du PIB en 2030, soit 10 à 15 milliards selon le Conseil d’orientation des retraites à… 55 milliards d’euros selon les calculs du gouvernement. La Cour des comptes, qui publie mercredi un rapport sur le sujet et assure vouloir apporter « la vérité des chiffres », sera-t-elle le juge de paix ? Rien n’est moins sûr. Quand bien même un chiffre de déficit serait communément admis par tous, chacun des acteurs semble vouloir défendre sa position. Les négociations pourraient vite se retrouver dans l’impasse où accoucher de bien maigres évolutions.
Il y a pourtant urgence à corriger cette mauvaise réforme, très injuste pour beaucoup de Français, et, au-delà, à ouvrir une réflexion plus large sur le devenir de notre système social à l’heure des grandes mutations du monde du travail et de la société. Car contrairement à tous ceux qui s’arc-boutent sur la réforme actuelle purement paramétrique, avec son décalage de l’âge de départ à 64 ans et l’allongement de la durée de cotisation, il existe bien d’autres alternatives de financement des retraites. Du développement de l’emploi des seniors à la suppression de certaines exonérations de cotisations accordées aux employeurs, de la contribution des retraités à la majoration des cotisations sociales, de multiples curseurs sont activables. On peut même réfléchir à nouveau à un système à point voire à une part de capitalisation collective.
Un tel débat ne se tranchera pas en trois mois et il y a fort à parier que le dossier des retraites sera renvoyé à la présidentielle de 2027…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 17 février 2025)