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La tentation de la censure

 

assemblée

« Le meilleur moyen de résister à la tentation, c’est d’y céder », disait Oscar Wilde. François Bayrou vient de faire sienne la maxime de l’écrivain britannique en cédant au recours à l’article 49.3 qui va donc permettre au gouvernement, à partir de ce lundi, de faire adopter sans vote les textes budgétaires de 2025. Comme ses prédécesseurs Elisabeth Borne – « Madame 49.3 » – et Michel Barnier, le Premier ministre a ainsi renoncé à laisser les projets de loi de finances faire l’objet d’un vote en bonne et due forme par les députés, par peur d’un résultat qui aurait pu être négatif. Certes le recours à cet article de la Constitution est parfaitement régulier, mais il soulève tout de même un problème démocratique qui peut légitimement heurter les Français : à quoi sert un Parlement s’il ne peut jamais voter le budget de la Nation ?

Le recours au 49.3 pose aussi les limites de la « méthode Bayrou » qui se voulait différente. On pensait, en effet, que le président du MoDem, contrairement à Michel Barnier, avait su trouver le chemin de crête pour franchir son Himalaya budgétaire, faisant une ouverture de négociation avec le Parti socialiste d’un côté et se prémunissant de la « surveillance » du Rassemblement national de l’autre. François Bayrou se félicitait même de l’accord historique survenu sur le Budget vendredi au sein de la commission mixte paritaire réunissant sept députés et sept sénateurs. Las ! Le recours au 49.3 casse donc la nouvelle approche qu’il disait vouloir incarner et ravive dans les oppositions l’envie de censurer, réponse logique à tout 49.3.

Mais les oppositions, justement, doivent-elles céder à la tentation de la censure automatique ? Autant celle qui a fait chuter un gouvernement Barnier sourd au résultat des urnes – un front républicain contre le RN et une coalition de gauche arrivée en tête – paraissait logique et même réclamée par les sympathisants des partis d’opposition, autant cette fois la donne a changé.

Depuis les élections législatives issues d’une calamiteuse dissolution, la France patauge depuis sept mois dans l’incertitude, engluée dans des chicayas politiques de plus en plus incompréhensibles et des débats boutiquiers et électoralistes sans fin qui sont très éloignés de l’intérêt général.

Les Français attendent que le pays avance, que des décisions soient prises dans de nombreux domaines comme l’agriculture, l’éducation, la défense, l’économie, etc. À l’heure où le monde est bouleversé par l’élection de Donald Trump et l’irruption d’une « internationale réactionnaire », à l’heure où l’Europe pourrait décrocher dans la course aux technologies, comme l’intelligence artificielle, doit-on vraiment précipiter la France dans un nouveau chaos politique en cas de censure et perdre encore des mois ?

François Bayrou estime qu’une censure « serait rejetée avec colère par les Français ». De fait, les oppositions vont devoir y réfléchir à deux fois avant de censurer, et notamment la gauche. Un sondage Odoxa-La Dépêche lundi dernier montrait, en effet, que 77 % des sympathisants de gauche plaidaient pour qu’elle essaye de trouver des terrains d’entente avec le gouvernement afin d’obtenir des résultats ; seuls 24 % préféraient une censure.

Assurer la stabilité institutionnelle et arracher des victoires pour infléchir une politique qui penche à droite ou rester sur l’Aventin d’une opposition en mode « tout ou rien » qui jouerait le blocage jusqu’à la prochaine présidentielle : tel est le dilemme de la gauche et plus particulièrement du PS. Tiraillé, celui-ci pourra toujours se référer à Jean Jaurès, qui écrivait dans La Dépêche le 6 mai 1888, à une époque où les censures s’enchaînaient, que « le plus grand mal dont nous souffrons, c’est l’instabilité gouvernementale »…

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 3 février 2025)

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