La loi immigration aurait pu être l’exemple parfait du « en même temps » dont Emmanuel Macron a fait sa marque de fabrique depuis son accession à l’Elysée en 2017. Un texte ciselé, entre « fermeté » et « humanité », selon l’expression consacrée, où chaque mesure aurait été construite sur des faits statistiques, des données établies et non sur des ressentis montés en épingle sur les réseaux sociaux, où chaque article, nuancé et argumenté, aurait été respectueux de la tradition d’asile de la République française tout en apportant les nécessaires adaptations de notre droit à une immigration qui a beaucoup évolué ces dernières années. Cette loi n’aurait pas été une loi de plus, mais une loi – enfin – efficace et juste. Rien de tout cela n’est advenu…
Cette loi immigration, qui s’est cognée au réel de la vie politique, est devenue une bombe à fragmentation à même de faire exploser la majorité présidentielle relative. Car entre la présentation du texte initial réputé « équilibré » par Gérald Darmanin, l’ex-LR, et Olivier Dussopt, l’ex-PS, et celui sur lequel se sont prononcés hier les députés et les sénateurs, après une interminable commission mixte paritaire qui a débouché sur un texte de « compromis », les changements sont tels qu’ils constituent non seulement un tournant du quinquennat – et le virage pour le coup est à droite toute – mais aussi un séisme démocratique pour le pays dont la responsabilité incombe à Emmanuel Macron et à lui seul.
Depuis les législatives de juin 2022 qui l’ont privé de majorité absolue, le président de la République refuse d’admettre que ses troupes puissent logiquement être mises en minorité à l’Assemblée. Pour Emmanuel Macron, il ne peut y avoir de compromis que si les autres viennent sur ses positions, il ne peut y avoir de vote que si son camp l’emporte. Tout a été fait depuis dans ce sens à coups de 49.3, et notamment sur l’emblématique réforme des retraites. La motion de censure que le gouvernement Borne a évitée de justesse à 9 voix près aurait pu servir de leçon ; le parcours de la loi immigration vient de démontrer le contraire de façon spectaculaire.
Après la motion de rejet votée le 11 décembre, Emmanuel Macron aurait pu considérer que le projet de loi était mauvais, qu’il fallait le retirer et repartir de zéro. Las ! Le Président a préféré s’entêter et rechercher absolument un compromis avec les si peu fiables Républicains qui lui avaient fait défaut sur les retraites. Et pour obtenir ce compromis, la majorité présidentielle a montré qu’elle était prête à toutes les concessions, pour ne pas dire tous les renoncements, en validant des propositions ni plus ni moins calquées sur le programme du Rassemblement national. Restriction du droit du sol, quotas et regroupement familial, conditionnement des prestations sociales, etc. Sans avoir rien eu à faire, le RN, qui caracole en tête des sondages pour les Européennes, n’a pu que constater tout sourire sa « victoire idéologique » – autant dire le baiser de la mort pour la macronie...
Élu par deux fois Président grâce à un front républicain face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron avait promis de faire rempart contre le Rassemblement national. Que la loi immigration soit votée, rejetée, retravaillée importe finalement peu. En adoptant sans sourciller certaines des positions historiques du RN comme la préférence nationale, il vient de fracturer – de saborder ? – sa majorité et d’ouvrir une crise politique et démocratique dont on voit mal comment elle ne pourrait pas déboucher sur un retour aux urnes. Car depuis hier, le roi est nu…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 20 décembre 2023)