Le chant matinal d’un coq, l’odeur de fumier, des cloches qui sonnent, un tracteur qui circule entre une ferme et son champ, des troupeaux qui se déplacent… Autant de sons et de senteurs qui font le charme de la vie à la campagne, mais pour certains néoruraux ces éléments du patrimoine rural sont devenus des nuisances insupportables, au point de les pousser à saisir la justice pour faire cesser ces « troubles anormaux du voisinage ».
Ainsi, ces dernières années, on a vu se multiplier des procès intentés par certains ex-citadins qui viennent de s’installer au vert contre des agriculteurs, des éleveurs voire des maires. Des procès souvent absurdes, parfois ubuesques. On se souvient de l’affaire du coq Maurice, sur l’île d’Oléron, qui avait passionné la presse internationale. Le coq – que la justice avait autorisé à continuer à chanter – était devenu le symbole du monde rural et du décalage qui peut exister entre les attentes des néoruraux, qui ont parfois de la campagne une image idyllique de carte postale, et la réalité du monde rural.
Ces nombreux procès – 490 dossiers d’agriculteurs sont actuellement en procédure avec leurs voisins pour troubles anormaux de voisinage selon la FNSEA – ont été fustigés par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti car ils font perdre du temps à la justice. Ils sont d’autant plus problématiques qu’ils visent souvent des activités essentielles à la vie – la survie même – et au développement des territoires ruraux. L’agriculture, l’élevage, l’artisanat, la culture au sens large, le tourisme… : autant de secteurs qui font vivre des milliers de personnes, qui entretiennent le paysage, qui préservent la biodiversité, qui perpétuent, aussi, des traditions.
Ces activités sont aussi sources de fierté et d’identité pour les habitants des campagnes. C’est d’ailleurs avec la volonté de définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises qu’une loi – dite du coq Maurice ! – a été adoptée en janvier 2021. Mais l’inventaire régional de ce patrimoine-là étant complexe et ayant pris du retard, une nouvelle proposition de loi arrive ce lundi à l’Assemblée pour mieux protéger les ruraux de poursuites abusives en modifiant le Code civil qui n’a sur ce point pas bougé depuis 1804. « Cette proposition de loi permet de poser les conditions d’un vivre ensemble équilibré » assure la députée Nicole Le Peih qui devrait réunir une large majorité de ses collègues sur ce texte et réjouir les agriculteurs et les maires.
À ce tableau, il faut toutefois ajouter deux nuances de taille. La modification de la loi n’est pas un chèque en blanc pour faire tout et n’importe quoi. À la campagne comme en ville la loi s’applique pareillement et les agriculteurs ou éleveurs qui prennent trop de libertés en ne se souciant pas de leur voisinage pourront toujours être poursuivis et sanctionnés. Ensuite, au-delà des procès médiatiques et rocambolesques, la cohabitation entre néoruraux et campagnards de toujours se passe très bien la plupart du temps. Les nouveaux venus, souvent jeunes, redynamisent des villages, leurs enfants pérennisent leurs écoles et ils apportent bien souvent de l’air frais, des idées neuves, des projets culturels et économiques pour valoriser leur nouvelle terre d’adoption.
S’il convient de sortir de l’image d’Épinal d’une campagne fantasmée et silencieuse, il faut donc aussi sortir de celle où citadins et ruraux ne pourraient pas s’entendre. Car rien n’est plus faux.
(Editorial publié dans La Dépêche du Dimanche du dimanche 3 décembre 2023)