S’il y a bien un mot dont raffolent les hommes et femmes politiques c’est bien celui de responsabilité. Être en responsabilité lorsque l’on appartient à l’exécutif. Prendre ses responsabilités sur un vote, une position, une proposition. En appeler à la responsabilité des Français. Considérer que tel adversaire est devant ses responsabilités. Mais à force de l’utiliser à tout bout de champ, de s’en gargariser à longueur de discours, on a parfois l’impression que ce mot a été vidé de tout son sens par la classe politique qui manque, pour le coup, cruellement de responsabilité dans la conduite du débat public.
Entendre Gérard Larcher, président du Sénat qu’on a connu plus policé, troisième personnage de l’État, lancer « ferme ta gueule » à Jean-Luc Mélenchon en dit long sur l’état de déréliction de notre démocratie. Une démocratie où l’insulte remplace désormais l’argument, où l’invective se substitue au propos construit, où la petite phrase, si possible blessante, l'emporte sur la formule claire, où l’inflexibilité des affirmations succède au sens de la nuance, où la conflictualisation permanente prend le pas sur la recherche du consensus, où les faits alternatifs voire complotistes supplantent les faits avérés, où un tweet de 280 caractères subroge une réflexion construite.
Bien sûr les insultes, les invectives, les mots crus, ont toujours émaillé la vie politique française et ceux qui se sont offusqué des débats houleux à l’Assemblée ces derniers mois oublient vite – ou méconnaissent – combien les débats pouvaient être violents – y compris physiquement – sous la IIIe République. Bien sûr certains hommes politiques – et particulièrement ceux qui sont diplômés des écoles les plus prestigieuses du pays – ont toujours pensé à tort être proches du peuple en employant au mieux la langue de tous les jours ou des expressions désuètes, au pire des propos vulgaires qui massacrent syntaxe et conjugaison. Bien sûr, il serait dérisoire d’imaginer une vie politique aseptisée là où elle est souvent passion et engagement entier.
Pour autant, en cédant à ce point à la facilité de l’insulte, on finit par abîmer la démocratie même. Faute de dialogue, la polarisation s’accentue, faute de pouvoir se parler, les positions deviennent de plus en plus irréconciliables, hermétiques à toute nuance, à tout constat partagé, à tout échange. Ce glissement dangereux s’est déjà opéré dans plusieurs pays à commencer par les États-Unis. L’irruption de Trump en 2016 a donné à voir que la violence verbale, l’outrance, savamment orchestrées et entretenues par ce que Giovanni di Empoli appelle « Les ingénieurs du chaos » pouvaient être gagnantes.
Car derrière le folklore populiste qui prête parfois à sourire se cache le travail de spin-doctors, d’idéologues, d’experts des réseaux sociaux, de médias avides de buzz avec un agenda idéologique ultraconservateur clair, sans lesquels ces personnages ne seraient jamais parvenus au pouvoir. Et tout cela s’est passé avant l’arrivée de l’intelligence artificielle capable de fabriquer de fausses images, de fausses déclarations trompeuses...
Alors, avant que la France ne bascule dans cette réalité – ce cauchemar – on a envie de dire aux hommes et femmes politiques qui veulent céder à l’insulte, de résister à cette tentation et d’être, enfin, responsables.