En lançant une liste pour les prochaines élections européennes de juin, le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, vise moins l’envie de siéger au Parlement européen que de profiter de l’intérêt médiatique que cette initiative va susciter pour mettre en avant les idées qu’il porte avec fracas dans le débat public en France. L’intéressé l’admet d’ailleurs volontiers, cette liste éphémère, qui convoque le souvenir de celles portées jadis par le mouvement Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT), n’a pas vocation à s’installer dans la durée mais est juste là pour porter « des valeurs françaises » conservatrices, dénoncer les normes européennes pourtant démocratiquement adoptées par 27 pays membres très différents, et fustiger les écologistes et les défenseurs de la cause animale.
Willy Schraen et ses amis – au premier rang desquels le lobbyiste de la chasse proche d’Emmanuel Macron Thierry Costes, « tombeur » de Nicolas Hulot – ont parfaitement le droit de monter cette liste « apolitique », quand bien même est-elle de témoignage au vu du score lilliputien que lui promettent les sondages. On peut même considérer que toutes les « petites » listes qui seront sur la ligne de départ pour les européennes contribuent à nourrir le débat en y apportant des thématiques qui leur sont chères et, ce faisant, contribuent à la vitalité de notre démocratie qui ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Ce n’est pas rien.
Le problème tient davantage au positionnement de la liste de l’Alliance rurale qui s’autoproclame comme la seule vraie défenseure de la ruralité et des campagnes, qui seraient frontalement opposées aux villes. Évidemment rien n’est plus faux car cette liste défend une partie seulement de la ruralité, applique aux campagnes sa grille de lecture idéologique – conservatrice en l’espèce, voire réactionnaire – et propose des solutions qui se situent à droite voire à l’extrême droite de l’échiquier politique puisque M. Schraen considère qu’il y a « de bonnes choses » chez le Rassemblement national sur les platebandes duquel il espère empiéter.
La vérité est qu’il n’y a pas une ruralité mais des ruralités comme l’a d’ailleurs reconnu l’Insee en 2021 en décidant d’en changer la définition pour mieux rendre compte des réalités des territoires et de leurs transformations. Ainsi, le statisticien national a défini quatre types de territoires ruraux en fonction de leur densité de population et de leur proximité avec un pôle urbain. Cette classification permet ainsi de déterminer les communes où la population stagne et celles qui attirent des populations plus jeunes et dont la dynamique dépasse celle des communes urbaines.
Cette nouvelle classification doit permettre aux pouvoirs publics de mieux définir leurs politiques et de répondre à ce que Willy Schraen et d’autres soulignent à raison : les difficultés qui persistent dans trop de territoires et le malaise qui s’ensuit. Que ce soient les agriculteurs qui ont manifesté récemment, les patients qui se désespèrent d’être dans un désert médical, les habitants qui n’ont d’autres choix que d’utiliser leur voiture faute de disposer de moyens de transport en commun suffisants et efficaces, ou encore les citoyens qui subissent la fracture numérique et la déréliction des services publics : les problèmes sont nombreux. Les ruraux ne demandent pas de privilèges mais l’équité, ils ne demandent pas des lois d’exception mais de ne pas être considérés comme des citoyens de seconde zone, ils ne veulent pas essuyer le mépris de quelques technocrates à Paris ou Bruxelles mais savoir qu’on leur fait confiance.
Car les campagnes, par leur dynamisme, leurs initiatives, leur qualité de vie et leur résilience, sont une chance pour le pays et participent de notre modèle français.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 25 décembre 2023)