L’histoire Alex Batty est encore loin d’être terminée et les zones d’ombre sont nombreuses, notamment sur les jours qui ont précédé la découverte en pleine nuit le long d’une route de Haute-Garonne de cet adolescent anglais de 17 ans disparu depuis six ans. Le jeune homme n’a, semble-t-il, livré qu’une partie de la vérité à la police, omettant dans le récit de son retour à la société le rôle de sa mère et de son grand-père, qui sont tous les deux introuvables. Le jeune Alex, qui a rejoint samedi dernier sa grand-mère Susan Caruana à Oldham, dans le Grand Manchester, devait être interrogé cette semaine par la police britannique qui n’a jamais clôturé l’enquête.
Au-delà, les enquêteurs britanniques vont devoir remonter le fil de six années durant lesquelles le garçon est passé de l’enfance à l’adolescence. Un univers en marge de la société dont il faudra déterminer s’il était soumis à l’emprise de tel ou tel mouvement spirituel, ésotérique ou sectaire.
Vivre en marge de la société, du système n’est évidemment pas illégal. La déconnexion d’un monde contemporain qu’on juge trop violent, trop consumériste, trop individualiste ou trop oppressant peut conduire certains d’entre nous à envisager de sortir de la société pour vivre autrement, à s’isoler pour se retrouver seul ou à plusieurs pour fonder de nouveaux modes d’organisation. Dans le premier cas, les exemples ne manquent pas et on se souvient dans la région de l’affaire Xavier Fortin, qui s’était caché pendant onze ans avec ses deux fils dans le Couserans ariégeois, ou encore d’Alexandre Grothendieck, le génial mathématicien qui s’était retiré à Lasserre, en Ariège, pour y vivre en quasi-ermite. Dans le second cas, on ne compte plus, la encore, les communautés de personnes de tous horizons qui, depuis les années 60, veulent vivre autrement, différemment et qui se heurtent tantôt à l’incompréhension des habitants des campagnes – ou des villes – dans lesquelles elles s’installent, tantôt à l’administration qui a le devoir de procéder à des vérifications.
Car la vie en marge n’est pas toujours choisie, elle est parfois imposée. Imposée par les parents à leur progéniture qui se voit ainsi voler son enfance ; imposée à des adultes par d’autres adultes sans scrupule qui profitent de leur fragilité physique et psychologique. Ces phénomènes d’emprise ne sont certes pas nouveaux, mais depuis l’émergence d’internet et la pandémie de Covid-19, ils se sont diversifiés et multipliés. Et ils ont atteint des niveaux inquiétants qui ont conduit la Miviludes à présenter le mois dernier une « Stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires. »
Ces dérives-là, qui brisent les familles, doivent être combattues avec la même énergie que celle que la loi doit mettre pour garantir à chacun le libre arbitre de vivre autrement.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 22 décembre 2023)