C’est une petite musique que l’on entend depuis quelque temps maintenant. Dans la sortie de la crise sanitaire, qui a durement éprouvé les Français et particulièrement la jeunesse, il faudrait mettre davantage à contribution les retraités. Ces seniors dont le niveau de vie moyen serait très – trop ? – confortable par rapport au reste de la population active ; ces aînés pour la santé desquels le pays s’est confiné trois fois ; ces vieux qui profiteraient de leur retraite pour passer des mois sous le soleil en voyage ou dans leur résidence secondaire ; ces personnes âgées pour lesquelles on aurait finalement sacrifié les jeunes.
Ces thèses, qui agitent les réseaux sociaux, se sont retrouvées dans la tribune que le philosophe libéral Gaspard Koenig a signée dans Les Echos le 20 janvier. "Vies prolongées contre vies gâchées : le vrai dilemme de la lutte anti-Covid", écrivait l’ancienne plume de Christine Lagarde. "Années gagnées sur la mort contre années perdues pour la vie : c’est en ces termes que devrait être posé le débat sur le confinement général. Les joyeux teufeurs de Woodstock font aujourd’hui partie des personnes à risque que nous protégeons en sacrifiant nos existences quotidiennes. Que cela dit-il de notre société ?" s’interrogeait Gaspard Koenig.
Plus récemment, c’est un tract de campagne pour les régionales en Île-de-France du candidat EELV Julien Bayou qui s’en prenait aux "Boomers", les Français nés durant le baby-boom d’après-Guerre. En surimpression d’une photo de seniors bronzés et tout sourire, le visuel proclamait "Les boomers, eux, ont prévu d’aller voter", sous-entendant que ces derniers qui ont eu la belle vie ne voteraient aux élections que pour défendre uniquement leurs intérêts…
Ces analyses, ces positions, qui ne sont ni plus ni moins que de l’âgisme – discrimination aussi répandue que silencieuse –, ne résistent pourtant pas à la réalité de la situation des retraités ni à l’analyse de leur pouvoir d’achat réel. Faut-il rappeler qu’un senior sur deux déclare être en difficulté financière en dépit des diverses aides de l’Etat et des collectivités ? Faut-il rappeler aussi que les retraités sont des consommateurs, qu’ils s’impliquent dans la vie de la cité au sein d’une myriade d’associations, qu’ils aident autant qu’ils le peuvent, matériellement ou financièrement, leurs enfants et petits enfants ? Bref, que jusqu’au bout de leur vie, ils restent acteurs, actifs et surtout citoyens ?
Dresser les vieux contre les jeunes, favoriser les uns par rapport aux autres dans une sorte de guerre intergénérationnelle ne fera ni avancer le pays, ni ne réglera les problèmes économiques, en l’occurrence ceux du pouvoir d’achat global des Français. Les tenants du chacun pour soi libéral feraient bien d’y réfléchir, car eux aussi seront vieux un jour. Et ils seront sans doute heureux que la France soit restée fidèle à l’idée d’une société où la solidarité ne soit pas un vain mot.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 2 mai 2021)