Le drame que vivent depuis mardi les Cévennes, les habitants des Plantiers et des villages paisibles alentour a quelque chose d’irréel. Cette vaste chasse à l’homme, cette traque de celui qui a abattu froidement son patron et un employé d’une scierie avant de prendre la fuite dans la nature, apparemment surarmé, fait, en effet, davantage penser à ces faits divers américains que suivent en temps réel des chaînes de télévision spécialisées, ou à certains films d’action à la Rambo, qu’aux affaires qui surviennent en France ou en Europe. La différence tient peut-être au rapport de la société à la violence ; elle tient aussi à la façon dont les armes circulent au sein de nos sociétés. Aux Etats-Unis, le port d’armes est garanti par le 2e amendement de la Constitution et soutenu par un puissant lobby, la NRA. Et les contrôles, variables d’un Etat à l’autre, restent à l’évidence insuffisants pour empêcher les fusillades qui, trop régulièrement, endeuillent des centaines de familles chaque année.
En France heureusement, la détention et le port d’armes sont mieux réglementés, mais sont-ils pour autant exempts de failles ? Quelle que soit l’issue de la traque de Valentin Marcone, l’affaire du double meurtre des Cévennes sera sans doute l’occasion de se poser la question. Ce jeune homme, visiblement fragile psychologiquement avec « un comportement de type paranoïaque » selon les mots du procureur de la République d’Alès, a pu se procurer son arsenal apparemment en toute légalité – l’enquête le dira. Grand amateur d’armes de poing et de fusil à longue portée, le licencié de tir a partagé sa passion sur les réseaux sociaux sans éveiller le moindre soupçon, et passé vraisemblablement commande de certaines de ses armes sur internet auprès d’armureries ayant pignon sur web, sans éveiller le moindre soupçon ni la moindre inquiétude quant à son état psychologique.
Certains pourront toujours arguer qu’il reste un cas isolé, qu’il est impossible de sonder l’état d’esprit et les intentions d’un acheteur d’armes en règle voire qu’il aurait tout aussi bien pu se procurer des armes clandestinement. Les familles des victimes ne se satisferont sans doute pas de tels arguments, ni la société avec elles…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 14 mai 2021)