Au lendemain de l’attaque terroriste qui a coûté la vie à un professeur d’histoire-géographie de Conflans-Sainte-Honorine, la France s’est réveillée hier avec cette terrible sensation qui l’a trop souvent étreinte ces dernières années. L’effroi devant la barbarie islamiste, le sentiment d’impuissance face à l’hydre terroriste, la tristesse infinie pour les victimes qui pourraient être nos proches, mais aussi l’envie de se battre, de ne pas baisser les bras ni plier le genou, de ne pas se diviser, de "faire bloc" comme l’a demandé, à raison, le président Macron, invitant les Français à l’unité.
En janvier 2015, ils se sont attaqués à la liberté d’expression en décimant la rédaction de Charlie Hebdo, qui avait publié des caricatures du prophète Mahomet. Les Français ont fait bloc et sont descendus en masse dans la rue, et avec eux des chefs d’Etat du monde entier, pour affirmer leur attachement indéfectible à la liberté de la presse, à la liberté d’expression et crier "Je suis Charlie".
En janvier 2015 et en juillet 2016, ils se sont attaqués à la liberté religieuse en s’en prenant à une autre religion que celle qu’ils pensaient servir, assassinant les clients de l’HyperCacher parce que juifs, égorgeant un prêtre, Jacques Hammel, dans son église – avec la même haine qu’à l’école Otzar Hatorah de Toulouse, en 2012. Une fois de plus, les Français ont fait bloc, réaffirmant leur attachement à la liberté de croire ou de ne pas croire, garantie par loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, fondement de notre laïcité.
En novembre 2015 à Paris comme en juillet 2016 à Nice, ils se sont attaqués à notre façon de vivre, de se distraire, de se cultiver en massacrant des jeunes fans de rock ou des familles venues voir le feu d’artifice de la fête nationale. Là encore, les Français ont fait bloc, n’ont pas cédé à la division et ont continué à aller au restaurant, au théâtre, aux concerts.
Ce vendredi, ils se sont attaqués à la liberté de penser enseignée dans nos écoles publiques en assassinant un professeur qui avait à cœur de former ses élèves pour qu’ils deviennent, demain, des citoyens éclairés. Nul doute que, là encore, les Français vont faire bloc, de façon peut-être encore plus solide que les autres fois, car l’école reste la matrice de la République, le meilleur instrument émancipateur pour combattre tous les dogmes, tous les obscurantismes religieux. "Nos écoles, depuis qu’elles sont pleinement laïcisées, n’attaquent aucune croyance religieuse, mais elles se passent de toutes les croyances religieuses. Ce n’est pas à tel ou tel dogme qu’elles demandent les principes de l’éducation", estimait – déjà – Jean Jaurès, qui expliquait dans nos colonnes qu’"on n’enseigne pas ce que l’on veut ; je dirai même que l’on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est."
Au-delà des polémiques dans lesquelles nous finissons parfois par nous noyer après chaque attentat, il faut dès lors témoigner aux enseignants notre soutien dans cette épreuve mais aussi leur offrir urgemment la reconnaissance qui leur fait défaut pour ce qu’ils accomplissent au quotidien, en héritiers des hussards noirs adhérant aux mots de Victor Hugo. "Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme…"
(Editorial publié dans La Dépêche du Dimanche du 18 octobre 2020)