On a beaucoup parlé ces derniers jours de la fronde des élus locaux mécontents des mesures de restrictions ponctuelles prises par le gouvernement pour limiter le rebond de l’épidémie de Covid-19. Il y a une autre fronde, à bas bruit, qui gronde depuis le début de l’épidémie et qui pourrait, elle aussi prendre de l’ampleur : celle des seniors, des plus de 65 ans, des aînés ou des vieux, comme certains veulent farouchement qu’on les appelle. Car depuis l’arrivée de l’épidémie de Covid-19 en France, voilà une catégorie de la population qui estime – souvent à raison – avoir été maltraitée, discriminée et pour tout dire infantilisée. Cela a commencé, en mars, avec la perspective d’un confinement dont ils auraient été les seuls concernés – perspective vite abandonnée par Emmanuel Macron lui-même. Cela s’est poursuivi ensuite avec de multiples conseils vécus comme autant d’injonctions comminatoires pour ne pas recevoir leurs proches et leurs petits enfants chez eux, éviter tout déplacement, etc. Pire encore, cela s’est traduit pour les résidents d’Ehpad par une absence totale de visites avant qu’elles ne soient autorisées qu’au compte-gouttes et derrière des parois de plexiglas… La goutte d’eau a peut-être été la recommandation du Premier ministre Jean Castex, déconseillant "à papy et mamie" d’aller chercher leurs petits enfants à l’école, ce qui lui a valu de se faire copieusement sermonner sur le plateau de France 2 par la présidente septuagénaire d’une association de grands-parents.
Cette colère sourde chez les seniors – qui sont tout à fait conscients des risques du coronavirus – mérite toute notre attention car elle dit beaucoup de la société française et de la place que les "vieux" y occupent. Une société qui n’a, d’évidence, pas assez pris en compte le fait qu’après l’enfance et la vie active, il n’y a pas une ultime étape mais bien deux. D’abord un 3e âge actif où, de 65 ans à 80-85 ans, l’on reste dynamique, souvent en bonne santé, où l’on ne manque ni de projets ni d’envies ; puis un 4e âge où l’on devient plus dépendant.
Cette articulation entre 3e et 4e âges est restée trop longtemps un impensé des politiques publiques. Il est plus que temps que cela change et qu’on en finisse avec cet "âgisme" : voilà ce que disent les seniors, en France mais aussi en Europe, qui réclament – et proposent – des solutions pour rester pleinement acteurs dans la cité, prêts à apporter leur expérience comme leurs idées.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 5 octobre 2020)