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Ce jeudi de mobilisation contre la future réforme des retraites a connu hier un incontestable succès avec des centaines de milliers de manifestants. Pari réussi donc pour les syndicats qui avaient clairement placé la journée comme un remake de celle du 5 décembre 1995, commencement d’un blocage qui avait fini par faire céder le gouvernement Juppé.
Mais comparaison n’est pas raison et entre Alain Juppé et Edouard Philippe, la situation est toutefois bien différente. Il y a 24 ans la protestation ciblait un texte précis de réforme globale de l’assurance-maladie, qui n’était nullement au programme du candidat de la «frcture sociale» Jacques Chirac et dont les syndicats , puissants, demandaient le retrait pur et simple. Ce qu’ils ont finalement obtenu après un mois de conflit. Aujourd’hui, la rue dénonce un projet de réforme dont les contours sont aussi flous que changeants – entre âge-pivot, pénibilité ou clause du grand-père tour à tour proposés et annulés – , un projet qui figurait bel et bien dans le programme du candidat Macron, et sur lequel des syndicats, moins puissants qu’autrefois, affichent malgré tout quelques divergences d’appréciation.
Par ailleurs, la mobilisation d’hier s’est , d’évidence, nourrie de colères qui n’ont rien à voir avec la future réforme. Car à la moitié du quinquennat, les opposants d’Emmanuel Macron – politiques, syndicaux, associatifs ou Gilets jaunes – ont saisi l’occasion de ce «jeudi noir» pour dire leur rejet de réformes libérales menées jusqu’ici tambour battant par un Emmanuel Macron qui a souvent cru pouvoir se passer des corps intermédiaires. La retraite constitue ainsi le catalyseur de colères qui grondent dans plusieurs secteurs : urgences puis hôpitaux, étudiants, policiers, sapeurs-pompiers, enseignants, agriculteurs, avocats, etc. Ce climat social éruptif, cette perte de confiance entre les citoyens et le gouvernement est évidemment le plus mauvais des contextes pour mettre en œuvre une réforme des retraites d’une aussi grande ampleur.
Il devient dès lors urgent de retrouver le sens du compromis, du consensus, de l’écoute, de la co-construction.
Pour les syndicats revigorés, il s’agit d’admettre que le statu quo est tôt ou tard contreproductif, que notre système de retraite, à force de rafistolages à chaque réforme, pourrait être plus efficace, plus juste et même plus généreux si on s’inspirait de ce qui existe dans certains autres pays européens...
Pour le gouvernement et Emmanuel Macron au premierchef, qui ont reçu hier un coup de semonce, cela suppose un exercice d’humilité auquel ils sont peu coutumiers. Regarder la réalité en face, en finir avec les éléments de langage qui sonnent creux et les couacs de communication, sortir enfin de l’ambiguïté pour afficher clairement les lignes d’une réforme qui suscite de l’anxiété, apporter des garanties suffisantes aux fonctionnaires ou sur la fixation de la valeur du point. Bref, ouvrir de vraies négociations plutôt que des consultations sans fin.
Edouard Philippe dévoilera l’architecture de la réforme... la semaine prochaine. Les syndicats ont annoncé que grèves et manifestations allaient se poursuivre. Comme si chaque partie espérait emporter le bras de fer sur le mode «tout ou rien.» L’Histoire montre pourtant qu’on a rarement raison tout seul et que la seule issue reste bien celle du compromis.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 6 décembre 2019)