Les Français parviennent-ils à suivre le tempo de la réforme des retraites ? La partition, qui avait mis plus de deux ans à sortir sous la baguette du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, s’était soldée au cœur de l’été par une belle cacophonie de l’exécutif lorsque le chef d’orchestre Emmanuel Macron avait retoqué l’âge-pivot… avant que celui-ci ne soit réintroduit par le premier violon Edouard Philippe – au nom de la réforme paramétrique financière qui, selon lui, est indispensable avant la réforme systémique…
Dès lors, depuis la rentrée, le gouvernement, qui refusait de dévoiler les mesures de sa partition, a multiplié les fausses notes et les volte-face dans ses laborieuses explications, au point de casser les oreilles des partenaires sociaux. En mode Allegro, la CGT de Philippe Martinez a sonné la mobilisation le 5 décembre pour le retrait pur et simple du texte, avant même que celui-ci ne soit détaillé. Plutôt Moderato, la CFDT de Laurent Berger s’est résolue à rejoindre l’opposition pour réclamer le retrait de l’âge-pivot dès lors que sa présence a été confirmée le 11 décembre.
Trois journées de mobilisation plus tard qui ont vu des centaines de milliers de Français dans la rue, Edouard Philippe a rouvert les négociations, promettant d’améliorer le texte et espérant obtenir une trêve à Noël. À l’Allegro du premier mouvement a ainsi succédé cette semaine l’Adagio de la symphonie des retraites.
Pour l’heure, Edouard Philippe joue habilement, au point que certains redoutent même qu’il n’interprête dans cette affaire sa propre petite musique. Avec une tonalité un peu différente de celle du président de la République, un peu plus à droite pour conserver l’oreille de son ancienne famille politique, aphone depuis 2017, et – qui sait ? – obtenir peut-être un jour son soutien pour d’autres ambitions…
Ferme sur le maintien de l’âge-pivot – pourtant un casus belli pour Laurent Berger – Edouard Philippe s’est ainsi montré ouvert sur plusieurs chantiers qui concernent la pénibilité, les transitions, et quelques autres garanties. Adepte de la stratégie de l’usure, le Premier ministre, qui veut d’évidence tenir la note, est parvenu à fissurer le mouvement syndical en décrochant l’UNSA, très implantée dans les transports. Si un retour à la normale est illusoire car techniquement impossible, plus de trains circuleront dans les jours à venir. Et Edouard Philippe fait le pari que le front de la contestation s’essoufflera d’ici la rentrée de janvier.
Le pari est tout de même risqué car depuis le début, l’opposition des Français à la réforme est constante et massive, et les concessions de l’exécutif sont en l’état bien minimes. Tout se jouera donc en janvier. On verra alors si pour son troisième mouvement, la symphonie amendée des retraites suscitera un tempo Moderato ou Allegro chez ses opposants, si elle sera pathétique ou fantastique. Une chose est sûre, on est encore très loin du point d’orgue…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 21 décembre 2019)