Lorsque l’on pense au braconnage d’espèces menacées, on se projette en Afrique, on visualise les grands fauves ou des éléphants pourchassés. Mais le braconnage international se niche aussi au plus près de nous. Le trafic des alevins d’anguille, connus aussi sous l’appellation civelles ou pibales, se déroule bel et bien dans notre Grand Sud, sous nos yeux. L’espèce est aujourd’hui classée en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Et sa commercialisation en dehors de l’Europe est interdite depuis 2009 par la convention de Washington. Mais la civelle – dont la population a très fortement chuté, – 75 % en 30 ans en France – est au centre d’un trafic international qu’Europol chiffre à plusieurs milliards d’euros. De fait, elle se revend à prix d’or en Asie : entre 4 000 et 6 000 € le kg, contre 200 à 400 € en France, soit aussi cher que de la drogue… De quoi attirer de nouveaux barbares sur ce juteux marché.
Face à ce fléau, la France a plus sévèrement encadré la pêche et conduit un vaste programme de protection des anguilles, validé par l’Union européenne. Et surtout a intensifié la lutte contre les trafics avec de consistants résultats.
Cette lutte montre d’ailleurs que les Etats ne restent pas sans rien faire face aux trafics d’espèces menacées d’extinction. En juin dernier, une opération coordonnée par Interpol et l’Organisation mondiale des douanes (WCO) dans 109 pays a ainsi permis d’interpeller 582 suspects. Défenses d’éléphant, bois, plantes, primates, fauves, oiseaux, animaux marins dont du corail, hippocampes, dauphins, requins, tortues, reptiles... : la liste des saisies donne le tournis et souligne l’ampleur du phénomène.
Mais ce braconnage mondial n’est hélas pas le seul responsable des atteintes aux espèces menacées. Chaque année, des milliers disparaissent à cause des activités humaines, au point que les scientifiques évoquent désormais l’avènement d’une sixième extinction de masse qui bouleversera nos écosystèmes. "En 40 ans, notre planète a perdu 60 % des populations d’animaux sauvages", déplore le WWF, le fonds mondial pour la nature, qui vient de lancer une campagne #stopextinction. En France, l’Observatoire national de la biodiversité a récemment estimé à 30 % le déclin des oiseaux des champs entre 1989 et 2017…
Il n’est toutefois pas encore trop tard pour agir. Mais cela suppose des décisions fortes, économiques, financières, intellectuelles, morales, institutionnelles. En serons-nous collectivement capables pour préserver notre nature si fragile ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 7 décembre 2019)