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L'union est un combat

NFP

Pour mieux analyser une situation politique, il est toujours intéressant de faire un pas de côté et prendre de la distance. Ainsi, on a vu la presse étrangère stupéfaite par la dissolution de confort décidée par Emmanuel Macron en juin, puis la désinvolture avec laquelle le chef de l’État a brusqué les institutions pour ne pas demander à la coalition arrivée en tête aux législatives, en l’occurrence le Nouveau Front populaire (NFP), de former un gouvernement et lui préférer une alliance fragile des partis sanctionnés dans les urnes – dont le sien – autour de Michel Barnier.

Pareillement, un regard extérieur est intéressant sur la coalition de gauche, bâtie dans l’urgence entre des partis qui ne s’étaient pourtant pas épargnés durant les élections européennes. Ce regard-là est arrivé avec Yannis Varoufakis, l’ex-ministre grec de l’Économie, tenant d’une gauche radicale proche de la France insoumise. Dans une interview à Libération, s’il se félicite que l’union à gauche ait pu se faire, il explique sans fard : « Ce que je n’aime pas, c’est le fait que le NFP n’ait pas dit aux Français, ni avant l’élection, ni après, que leur programme impliquait un conflit avec l’UE. Je n’ai pas de doute sur le fait que Mélenchon ira au clash avec l’UE, mais pas les socialistes, ce n’est pas dans leur ADN, pas plus que les Verts ». Et d’assener que, selon lui, « le Nouveau Front populaire est un mariage de convenance sans le degré d’honnêteté que les gens de gauche et les progressistes devraient adopter. »

En quelques phrases cash, Varoufakis renvoie ainsi la gauche française à ses contradictions et dit tout haut ce que beaucoup pensent – de moins en moins – tout bas : le NFP – comme son ancêtre la Nupes – est avant tout une alliance électorale avant d’être un programme commun réellement et complètement partagé. Électoralement parlant, Nupes et NFP ont parfaitement rempli leur rôle en limitant la casse et ont évité au Parti socialiste de se retrouver sans aucun député à l’Assemblée – ce qu’Olivier Faure ne manque pas de faire remarquer à ses nombreux opposants. Sur le fond, en revanche, les divergences persistent voire se creusent. Mises de côté pour bâtir la coalition, elles ressurgissent, que ce soit sur la politique étrangère, et singulièrement le conflit au Proche-Orient, ou encore sur la faisabilité d’un programme économique coûteux, rédigé avant qu’on ne découvre le dérapage abyssal des comptes publics laissé par les macronistes.

Pour préparer les prochaines élections – nouvelles législatives anticipées dans un an ou présidentielle de 2027 – les opposants de toujours à Jean-Luc Mélenchon espèrent faire renaître sans LFI une offre sociale-démocrate entr’aperçue aux européennes. Sur ce créneau, les chapelles socialistes se multiplient au risque de l’éparpillement : Delga, Bouamrane, Glusksmann, Cazeneuve et même Hollande. A contrario, Marine Tondelier ou Olivier Faure, âpres négociateurs du NFP, veulent respecter la parole donnée aux électeurs en juin et préserver l’union. Mais jusqu’à quand ?

Si la gauche veut à nouveau gouverner, elle va devoir rapidement trancher cette question. Et surtout, travailler, réfléchir enfin, remettre à jour son programme, ses idées, se reconnecter avec des classes populaires qui l’ont désertée et tenir compte de ce « peuple de gauche » qui réclame l’union sans exclusive. À défaut d’avoir un leader incontesté, peut-être la gauche devrait se rappeler ce que disait François Mitterrand dans ses mémoires. « Je crois pour demain comme hier à la victoire de la gauche, à condition qu’elle reste elle-même. Qu’elle n’oublie pas que sa famille, c’est toute la gauche. Hors du rassemblement des forces populaires, il n’y a pas de salut ».

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 9 octobre 2024)

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